Un film de Andrew Niccol (2015 - USA) avec Ethan Hawke, Zoë Kravitz, Bruce Greenwood, Jake Abel
Original, car un aspect inédit, et désormais usuel de la guerre.
L'histoire : Tom est pilote de chasse. Mais il a été rapatrié des zones de combat pour intégrer une unité de pilotage de drones à partir du sol américain. Passionné d'aviation, il attend qu'on le réaffecte sur de vrais avions. Mais la politique militaire change. Les drones, c'est l'avenir. Grâce à eux on peut suivre les cibles, chez elles, dans leurs villages, avec une précision infinie et envoyer des missiles destructeurs, net et sans bavure. Ou presque. C'est moins cher, et on compte beaucoup de moins de pertes humaines côté américain. Tom en a rapidement assez de jouer sur ses manettes et, comme ses collègues, il est de plus en plus troublé de voir sur l'écran les gens mourir en direct.
Mon avis : Mon cher mari était stupéfait ; il avait entendu parler des drones, bien sûr, ces mini-avions télécommandés utilisés par l'armée américaine pour envoyer des missiles (et actuellement diffusés, version miniature, au grand public pour faire joujou, ou aux médias pour des films "vus du ciel"). Mais que les trucs soient pilotés à distance depuis les USA, derrière un écran et avec des manettes, comme pour un jeu vidéo, ça il l'ignorait. Moi pas, vu que je regarde avec passion la série Homeland... ! La chose m'avait moi aussi interloquée au début ; je vois que ça se confirme : c'est bel et bien la nouvelle façon de faire la guerre.
Le film est bien fichu. Bien que répétitif (les missions s'enchaînent, on est toujours dans les box à regarder les officiers "dézinguer les aliens" sur leurs moniteurs), on ne s'ennuie pas, parce que la psychologie des protagonistes change au fur et à mesure. Comme eux on est de plus en plus dégoûtés. On se prend à se dire "c'était mieux avant" : au moins, dans un corps à corps comme au bon vieux temps, ou bien avec des mitraillettes ou depuis un avions de chasse, les soldats risquaient leur peau, de quelque camp qu'il soit. Il entre comme une petite "éthique" dans ce type de combat viril à armes égales. Tandis que là... les gars qui poussent leurs boutons, bien installés dans leurs fauteuils... ça choque.
Mais là une autre logique naît dans notre esprit (dans le mien en tous cas). Alors qu'on est écoeuré de les voir abattre des civils de sang froid, on se dit que finalement, peu importe la méthode ! Le résultat est de toutes façons le même : on tue des gens. Et dans les cibles, y a TOUJOURS, dans toutes les guerres, des civils qui trinquent.
Au fond, qu'est-ce qui les gêne, ces petits gars-là ! C'est de voir la mort en direct, et notamment des enfants ! Et on se dit alors que tout ça est rudement hypocrite. On veut faire la guerre, mais on ne veut pas voir les morts... Ouh la la... Et celà m'a fait penser à un documentaire que j'ai vu récemment sur le nazisme, où l'on nous expliquait que le Reich avait inventé les chambres à gaz parce que les jeunes soldats n'en pouvaient plus de fusiller des gens par centaines tous les jours. Avec les chambres, on ne voyait rien. Le confort moral des troupes était sauf. Schizophrénique.
Le film est donc finalement - et on peut le deviner avec le titre - très subversif et j'ai adoré cette réflexion qu'il proposait et qui revient à l'adage justifiant les horreurs humaines : en tuer mille pour en sauver un million. Des soldats, a priori, ne devraient pas avoir d'états d'âme. S'ils sont entrés dans l'armée, c'est forcément avec la possibilité inéluctable d'avoir à tuer des gens.
La seule solution : ne plus faire la guerre. Peace and love. Mais ceci est un autre débat. Il y aura toujours un empêcheur de tourner en rond quelque part qui vous énervera et à qui vous aurez envie de casser la figure. Etc. etc. etc.
Et puis le contraste entre les containers où s'entassent les "pilotes" pour tirer sur des gens, terroristes peut-être, mais vivant dans la misère... et Las Vegas, toute proche, avec ses lumières indécentes, son fric, son luxe... Ces "militaires" qui tuent "pendant les heures de bureau"... ça reste fort de café, quand même.
Un petit détail subliminal que je n'ai guère apprécié par contre : la CIA, ce sont les méchants, qui donnent des ordres sans pitié ; l'armée, ce sont les gentils, qui n'appuient sur le bouton... que si c'est le président qui demande ! Grinçant. Et là on ne sait pas si c'est voulu ou pas : légitimité de l'autorité, ou patriotisme au premier degré (l'Armée, le Président... et les grandes oreilles, ce mal nécessaire).
Pas trop aimé non plus le cliché de base : et si tuer des civils, par nécessité ou par inadvertance, engendrait finalement des envies de représailles de la part des victimes ? Une lapalissade...
Mais ce sont des détails. Le film est à la hauteur de Lord of war, autre opus majeur d'Andrew Niccol.
Le réalisateur a été fort critiqué par l'armée. Voici ce qu'il en dit : "Si tous ceux qui ont vu le film l’avaient adoré, je me serais dit que j’avais échoué : je cherche à susciter des réactions et des commentaires, et à bousculer le spectateur – pas à le caresser dans le sens du poil ! Je relate une réalité qui dérange, et c’est bien pour cela que l’armée ne m’a pas du tout soutenu dans ce projet. De toute évidence, les militaires ne tiennent pas à se mobiliser pour un film qui ne les présente pas sous leur meilleur jour."
Superbe Ethan Hawke dans le rôle de cet anti-héros... Il a pris un petit coup de vieux. Comme nous. Purée, ça ne nous rajeunit pas tout ça ! Et la ravissante January Jones qui n'a décidément pas de chance avec ses bonshommes (dans Mad Men, elle était aussi mariée à un tourmenté qui a tendance à l'oublier).
Je trouve que ce film est très puissant dans les réflexions qu'il suscite. Si j'étais prof de philo, je le choisirais pour lancer de vastes débats sur l'éthique de la guerre.
La critique est partagée. Il y a ceux qui aiment... et ceux qui trouvent le film trop superficiel et enfonce enfonce en fait des portes ouvertes. C'est un peu la réflexion à laquelle j'arrivais plus haut : la guerre, c'est nul, point barre. Je cite L'Express : "Une guerre désincarnée comme un jeu vidéo, qui touche aussi des innocents. Le réalisateur, Andrew Niccol (...), insiste inutilement sur cette évidence."
Si le fond est effectivement discutable, il n'en reste pas moins... que c'est bien à ça, selon moi, que le réalisateur veut arriver. Donner à penser, à réfléchir. Et je ne le trouve donc pas superficiel.