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Y a-t-il encore un espoir pour le Français Serge Atlaoui ?

Publié le 16 juin 2016 par Sylvainrakotoarison

" Je ne peux me résoudre à voir un homme qui crie son innocence être condamné à la mort, à voir son épouse et sa famille rongées par la douleur. Notre monde vaut mieux que cela. " (Anggun, 22 avril 2015).
Y a-t-il encore un espoir pour le Français Serge Atlaoui ?
En début mai 2016, j'avais fait état d'une préparation, en Indonésie, de nouvelles exécutions. Après de nouvelles rumeurs circulant la veille, le bureau du procureur général de Jakarta a confirmé le 14 juin 2016 que seize condamnés à mort seraient exécutés " immédiatement après le ramadan ".
Le Ministère indonésien des Affaires religieuse avait annoncé que le ramadan commençait le lundi 6 juin 2016. Il devrait se terminer le mardi 5 juillet 2016.
Contrairement à la dernière vague d'exécution le 29 avril 2015, aucun nom n'a été révélé pour désamorcer toute polémique internationale concernant la pertinence de telles exécutions par rapport aux relations diplomatiques avec les pays dont seraient ressortissants, le cas échéant, les condamnés à mort étrangers. Jusqu'à maintenant, le gouvernement indonésien a été sourd aux pressions diplomatiques, et le Président indonésien Joko Widodo avait même suspendu le moratoire des exécutions le 18 janvier 2015.
Tout laisse penser hélas que le Français Serge Atlaoui, originaire de Metz, ferait partie de ces seize condamnés à mort.
Ceux qui penseraient qu'il faudrait l'oublier parce que d'autres malheurs existent dans ce triste monde, comme le massacre d'Orlando, le double assassinat de Magnanville, les centaines d'attentats islamistes qui ensanglantent le monde depuis une quinze d'années, ou d'autres malheurs, des catastrophes climatiques, etc., devraient se souvenir qu'une cause n'a jamais été incompatible avec une autre. L'existence de malheurs plus "graves" (selon une échelle plus ou moins objective ou subjective) n'a aucune raison d'en excuser les autres (considérés moins "graves") s'il est possible de les éviter. D'ailleurs, dès qu'on touche à la vie humaine, tout est grave.
Ceux qui penseraient qu'on ne doit pas critiquer la justice d'un grand pays souverain comme l'Indonésie ont raison, à ceci près que lorsque le prévenu n'est pas capable de s'exprimer dans la langue du pays et n'a pas bénéficié des services d'un interprète, sa défense est tout de même assez aléatoire et forcément sans efficacité. Les droits de l'Homme imposent une justice équitable.
Ceux qui penseraient que ce serait bien fait pour Serge Atlaoui d'avoir la peine qu'il mérite (il aurait joué, il a perdu) devraient se souvenir que la peine de mort est une peine irréversible et aussi prudente que soit la justice, elle ne pourra jamais revenir en arrière avec ce type de peine. De plus, ils devraient se documenter un peu plus sur ce qui est arrivé à Serge Atlaoui.
Car je le rappelle ici. Serge Atlaoui a certes commis des fautes graves, c'est évident. Il est un ouvrier soudeur de 52 ans qui avait travaillé il y a une douzaine d'années aux Pays-Bas où il a rencontré un Néerlandais qui lui a proposé un travail un peu louche mais bien payé, 2 000 euros par semaine. Cela se passait en Indonésie où il s'est rendu.
En septembre 2005, il a donc commencé à travailler pendant six semaines près de Jakarta sur la maintenance de machines outils sophistiquées qui nécessitait la compétence d'une personne qualifiée comme lui. Il croyait que ces machines avaient pour but la fabrication industrielle d'acrylique. La naïveté fut donc l'une de ses fautes, avec l'acceptation d'un travail au noir.
Le 11 novembre 2005, il a été arrêté lors d'une descente de police avec seize autres personnes dans son usine qui produisait en fait des pilules d'ecstasy. Il avait compris quelques minutes avant son arrestation que son travail ne sentait pas très bon...
Y a-t-il encore un espoir pour le Français Serge Atlaoui ?
Son chef d'inculpation est très lourd : possession de 138 kilogrammes de méthamphétamine (drogue très addictive provoquant une euphorie et une simulation mentale très élevée), de 290 kilogrammes de kétamine (anesthésiant, analgésique et sédatif) et de 316 cylindres de substances précurseurs d'ecstasy.
Sa défense, c'était de dire qu'il travaillait de façon très ponctuelle (en intérimaire) pour entretenir le parc de machines sans savoir quelle en était la production, qu'il a enfreint aux lois sur le travail (travail clandestin), qu'il a été naïf en n'imaginant pas qu'il contribuait à la fabrication de drogues et qu'il était aussi négligent de ne pas avoir clarifié les conditions exactes de son travail.
Cette défense a-t-elle entendue par les juges indonésiens ? Pas sûr dans la mesure où il n'a pas pu bénéficier de la prestation d'un interprète pour s'exprimer lors de son premier procès.
Le 6 novembre 2006, Serge Atlaoui fut condamné à la réclusion à perpétuité pour trafic de drogue. Après appel, sa condamnation et sa peine furent confirmées. Après un pourvoi en cassation et un nouveau procès, Serge Atlaoui fut finalement condamné à la peine de mort le 29 mai 2007, comme huit prévenus sur les onze autres arrêtés dans la même affaire. Serge Atlaoui n'a jamais nié ses fautes : " Oui, j'ai fait une erreur en acceptant ce job. (...) Je mérite d'être puni, mais uniquement pour ce que j'ai commis. " (novembre 2010).
Le 28 janvier 2015, Joko Widodo rejeta la demande de grâce de Serge Atlaoui. Le 21 avril 2015, la cour a rejeté la demande de révision du procès, considérant que le condamné a été " de toute évidence coupable de distribution, transfert et négoce de drogues dont de l'héroïne pure ".
Le 22 avril 2015, la chanteuse franco-indonésienne Anggun Cipta Sasmi, qui est très populaire en Indonésie, a demandé au Président Joko Widodo la grâce pour Serge Atlaoui, mais sans succès.
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Dans sa lettre, elle a expliqué notamment : " Comme vous le savez, je vis en France depuis plusieurs années. J'ai cette chance incroyable d'à la fois puiser dans la fierté de mes racines indonésiennes et la richesse de ma culture natale javanaise, et vivre dans un pays berceau des droits de l'Homme, qui est une source d'inspiration pour la femme et l'artiste que je suis. Je sais à quel point les Indonésiens sont sensibles aux ravages de la drogue dans le pays et la région, et je ne peux que m'associer à leur légitime indignation à ce sujet. Mais je suis également convaincue que la peine de mort n'est en aucune façon une solution pour faire baisser la criminalité (...). La justice ne peut pas être la mort, quel que soit le crime. J'en suis viscéralement convaincue. (...) En Europe, l'Indonésie, [pays parmi les plus vastes et les plus importants du monde], est dorénavant associée à un pays qui condamne des hommes à mort. Mon cœur saigne à l'idée que c'est cette image qui est ainsi envoyée au monde alors que l'Indonésie est un pays tellement ouvert, tolérant et fraternel. Encore une fois, je ne me permettrais nullement de remettre en cause la souveraineté des lois de l'Indonésie et de l'exigence de ses citoyens de combattre avec force les fléaux de la drogue. Mais je ne peux me résoudre à voir un homme qui crie son innocence être condamné à la mort, à voir son épouse et sa famille rongées par la douleur. Notre monde vaut mieux que cela. " (22 avril 2015).
Le 23 avril 2015, les autorités indonésiennes ont annoncé que Serge Atlaoui faisait partie des douze condamnés à mort qui seraient exécutés le 29 avril 2015. In extremis, le procureur général a retiré son nom ainsi que celui d'une jeune Philippine, Mary Jane Veloso, le 25 avril 2015. Son recruteur néerlandais, lui aussi condamné à mort est mort en détention.
Le 22 juin 2015, l'appel sur le rejet de grâce présidentielle a été rejeté par la cour administrative de Jakarta. Par ailleurs, le 14 juillet 2015, la Cour suprême a rejeté aussi la demande en révision du procès.
Résultat, depuis onze mois, Serge Atlaoui, qui a été détenu déjà depuis presque douze ans, n'a plus aucun recours possible et aucune exécution n'a eu lieu depuis celle, avortée pour lui, du 29 avril 2015. Sa présence dans la liste des seize condamnés à mort qui seraient exécutés début juillet 2016 paraît donc fort probable.
Y a-t-il encore un espoir pour le Français Serge Atlaoui ?
Aucune pression internationale ne semblerait efficace pour éviter que le pire ait lieu. J'ai parlé de la situation de Serge Atlaoui qui a été, fort heureusement, médiatisée depuis un an, mais je pense aussi aux autres condamnés dont l'exécution est prochainement prévue et que rien ne justifie. Qu'ils soient effectivement coupables de ce qu'on les a accusés ou pas, leur mort, dans tous les cas, n'aura aucun effet sur la production de drogues en Indonésie ou ailleurs ; les trafiquants sont de toute façon dans une fuite en avant où l'appât du gain l'emporte largement sur le risque de perdre la vie.
Avec Serge Atlaoui, c'est tout le débat sur la peine de mort qui remonte en surface. La mobilisation des populations pourrait être, sans doute, la dernière arme face à une justice inflexible. Faute de mieux...
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Sylvain Rakotoarison (16 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160614-serge-atlaoui-E.html
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/y-a-t-il-encore-un-espoir-pour-le-181981
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/16/33972034.html


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