" Accomplir de grandes actions et dire de grandes paroles ne laisse point de trace, nul produit qui puisse durer après que le moment aura passé de l'acte et du verbe. (...) Les hommes de parole et d'action (...) ont besoin de l'artiste, du poète et de l'historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l'écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l'histoire qu'ils jouent et qu'ils racontent ne survivrait pas un instant. " (Hannah Arendt dans "Condition d'un homme moderne", 1958).
Des dizaines de milliers de Français sont inondés chez eux, n'ont plus d'électricité (exactement 7 800 le soir du 5 juin 2016), n'ont plus d'eau courante, parfois, ont tout perdu, et que fait le Président de la République ? Il ne fait pas comme le maréchal Patrice de Mac-Mahon, Président de la République du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879, qui, peu spécialiste de bons mots, avait lancé un simple " Que d'eau ! Que d'eau ! " lorsqu'il était venu près de Toulouse le 26 juin 1875 pour se rendre compte des inondations de la Garonne. Non, il va dans l'émission sportive de France Inter, "L'œil du tigre", le dimanche 5 juin 2016 à 18 heures 10 pour parler de football.
Et d'une manière très ennuyeuse et convenue, comme ceci : "Vous comprenez, ce que j'aime dans le sport, c'est l'esprit d'équipe". Tiens, parlons-en, d'esprit d'équipe, entre des députés de la majorité qui cisaillent depuis quatre ans la branche qui les a fait élire en juin 2012, un Premier Ministre en embuscade et un Ministre de l'Économie décidément un peu trop indiscipliné, sans compter la boudeuse de service, ex-rivale. Bel esprit d'équipe, en effet !
Prenons d'ailleurs Emmanuel Macron. Mais qui a donc bien pu faire fuiter pour que Mediapart annonçât le 31 mai 2016 qu'il était redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune ? Ce n'est pas très sympa alors qu'il avait dit auparavant vouloir le supprimer et qu'il n'était pas redevable d'un tel impôt. Un problème de valorisation d'un bien immobilier qui était au cœur d'une négociation entre lui et le fisc, forcément confidentielle. Après, on pourrait se demander si Michel Sapin, le Ministre des Finances justement, autrement dit, celui qui avait l'information en priorité, n'aurait pas eu intérêt à discréditer son petit camarade de Bercy qui lui faisait un peu d'ombre. On sait bien que Mediapart joue dans la cour du "Canard enchaîné", à savoir qu'il n'est que le réceptacle de la bile du milieu contre des collègues en disgrâce. C'est très classique.
Mais au-delà de la crue de la Seine et de ses affluents en amont (les villes de Montargis qui a accueilli le 6 juin 2016 le Premier Ministre, de Nemours, de Bagneaux-sur-Loing, entre autres, sont sinistrées), qui est un événement très ponctuel et soudain, même si elle va avoir des conséquences pour plusieurs semaines, la France était déjà paralysée par la guéguerre d'ego entre Manuel Valls et Philippe Martinez, à celui qui ne cédera pas, à celui qui en montrera.
Résultat, grèves illimitées à la RATP, à la SNCF, à Air France, dans les raffineries, à EDF avec du véritable sabotage industriel en coupant le courant électrique au chantier naval de Saint-Nazaire qui venait justement de signer d'impressionnantes commandes (le 25 mai 2016 pour 2,5 milliards d'euros, le 6 avril 2016 pour 4 milliards d'euros, etc.) et de livrer le 12 mai 2016 le plus gros paquebot du monde, l'Harmony of the seas (362,12 mètres de longueur, pour le transport de 6 296 passagers et de 2 394 membres d'équipage ; je détesterais ce genre de bateau pour mes propres vacances mais vive la France technologique quand même !).
Nécessairement, il va bien falloir arrêter cette hémorragie économique qui, couplée à celle du tourisme inquiet (les étrangers voient en la France et en l'Europe en général un terrain de jeu des terroristes de Daech), va coûter très cher à cette France-qui-irait-mieux, selon le bon mot présidentiel lâché un peu au hasard le 14 avril 2016 selon la méthode Coué. Car justement, terrorisme, grèves et crue, cela ne donne pas trop envie aux étrangers de visiter cet été notre beau pays. Ou alors dans un trou perdu du Cantal. Mais sûrement pas à la Tour Eiffel, au Louvre, à Notre Dame ou au Musée d'Orsay.
Michel Sapin a cependant eu l'audace d'affirmer sur LCI et RTL (au "Grand Jury") le 5 juin 2016 que ni les grèves ni les inondations n'auraient aucun impact sur l'économie du pays (on croit rêver de voir un si important ministre si éloigné de la réalité. Aucune compassion, seulement des éléments de langage. Merci aux victimes des inondations et aux pauvres travailleurs bloqués dans leurs transports !).
Pendant ce temps, François Hollande fait de la promenade culturelle. Certes intéressante, mais totalement décalée des réalités du pays. Le mardi 24 mai 2016, il est intervenu dans l'émission de France Culture "La fabrique de l'histoire" pour parler d'histoire et de politique : " Nous faisons l'histoire, nous ne la racontons pas. Je fais l'histoire. Le Français fait sa propre histoire. ". C'est bien joli de disserter sur l'histoire, mais il faudrait peut-être la faire au lieu de la dire. Agir enfin au lieu de papoter sans cesse. Agir au lieu de commenter sans cesse.
Une semaine plus tard, François Hollande a inauguré la Cité mondiale du vin à Bordeaux aux côtés d' Alain Juppé, le 31 mai 2016.
Le dimanche 5 juin 2016, monsieur a joué au grand sportif. Ce n'était certes pas trop convaincant (on pourrait regretter le rugbyman et tennisman Jacques Chaban-Delmas sans doute plus persuasif dans ce domaine), mais surtout, c'était encore un moyen de ne pas parler des sujets qui fâchent.
Car les sujets qui fâchent, il y en a plein.
Et d'abord et surtout économiques.
D'une part, la loi El-Khomri vaut-elle autant de désordre dans le pays quand on sait qu'elle ne fera pas embaucher un seul salarié de plus ? Non, évidemment. Faudra-t-il que François Hollande arbitre à la manière de Jacques Chirac sur le CPE, désavouant le 31 mars 2006 son Premier Ministre Dominique de Villepin ? Le gouvernement mise sur l'enlisement : dans un sondage publié par BVA pour i-Télé le 5 juin 2016, 54% des sondés seraient favorables à l'arrêt des mouvements sociaux.
D'autre part, le chômage, le chômage, le chômage. La loi El-Khomri est une coquille vide mais elle est un "marqueur". C'est le symbole de l'esprit de réforme, comme la loi Macron. Dommage que la réforme ne se décline qu'avec une ambition lilliputienne. Seul, un choc de confiance aurait pu sauver l'économie française. On l'attend encore.
C'est même pire : pour circonscrire la rouspétance sociale, on fait de la gouvernance clientéliste.
Par exemple, le gouvernement sabote purement et simplement la réforme de la SNCF qui, pourtant, devait se transformer avant le 30 juin 2016. C'était une question vitale. L'idée, c'est de réduire au maximum l'impact des grèves (seulement 8% de grévistes), mais elle continue quand même malgré l'accord négocié pendant dix-neuf heures sur le temps de travail. On imagine sans mal à quel point il est difficile pour Guillaume Pepy de diriger une grande entreprise où l'État, actionnaire principal, négocie avec les syndicats dans le dos de ses dirigeants. Gestion de fait. Cela s'est vu ailleurs, comme dans les sociétés de l'audiovisuel public. Bonjour l'indépendance ! Et surtout, bonjour la politisation qui prend le pas sur la raison économique. Comme toujours avec François Hollande.
Il y a plein d'autres exemples. Comme la modification de 2 à 1 milliard d'euros de la réduction des dotations aux communes, annoncée le 2 juin 2016 à la clôture du congrès des maires de France (présidé par François Baroin). Pourquoi avoir annoncé une réduction de 2 si c'est pour réduire de 1 milliard ? Mystère. La moindre chose qu'on peut dire, c'est que ce gouvernement n'a aucune vision, aucune lisibilité, aucune cohérence d'action.
Le gouvernement a aussi augmenté la rémunération des enseignants à effet juste trois mois avant l'élection présidentielle ! Ce "cadeau" du cœur de cible traditionnel du PS est si gros qu'il a peu de chance d'être suivi par ...une adhésion à la future candidature de François Hollande du corps enseignant profondément choqué par l'abandon du latin et du grec, des classes bilangues et par la déchéance de l'orthographe.
Toutes ces rallonges sont des petits cadeaux pour tenter de réduire la grogne sociale mais coûtent très cher. La rapporteuse générale du budget à l'Assemblée Nationale Valérie Rabault a déjà évalué à 4 milliards d'euros ces largesses budgétaires. Il ne s'agit pas de discuter de l'intérêt ou pas de ces octrois (les enseignants ont toujours été sous-rémunérés par rapport à leur difficile tâche et une revalorisation de leur traitement n'est jamais injustifié), mais surtout de la manière d'y recourir qui n'est ni issue d'un projet annoncé et expliqué, ni placée dans la cohérence profonde d'une politique économique à long terme, mais qui n'est simplement que l'aboutissement d'une habile réponse à ceux qui pourraient faire obstacle à une réélection.
Ce n'est pas nouveau que François Hollande gouverne ainsi, c'est-à-dire sans gouvernail. En pleine tempête, et sans carburant. Il l'a toujours fait, tant rue de Solferino (de 1997 à 2008) qu'à l'Élysée (depuis 2012). Mais dans cette période difficile, il serait temps qu'il commence à tenir un discours de vérité aux Français, autrement que le disque rayé du très fidèle Michel Sapin, champion de la langue de bois et de la pirouette budgétaire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le terrorisme islamiste.
Hors-sol.
Nuit Debout.
Qui l'eût crue ?
Faut-il haïr le football ?
Présidentielle 2017.
La France archaïque.
L'entre-soi.
Le discours au Théâtre du Rond-Point le 3 mai 2016 (texte intégral).
Grande nation cherche Président de la République.
Manuel Valls.
Emmanuel Macron.
La méthode de François Hollande, efficace à 0%.
Le livret citoyen.
François Hollande, le grand calculateur.
François Hollande et le manque d'ambition.
François Hollande et Angela Merkel.
La déchéance de la République ?
L'annonce de la déchéance de la nationalité (23 décembre 2015).
La démission de Christiane Taubira (27 janvier 2016).
François Hollande sécuritaire (16 novembre 2015).
Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160605-hollande.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/presidence-hors-sol-181632
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/15/33919895.html