Workolique par Jean-Pierre Ostende

Par Obadia
Publié le par jpostende

« Au Pico Pico, sans ciller, Jacques Marchal nous a annoncé qu’il avait été diagnostiqué workolique.
Comme nous étions ignorants de cette nouvelle maladie qui frappe de plus en plusd’hommes et de femmes en apparence les plus intégrés et les moins souffrants, Jacques Marchal nous a répété les propos du docteur.
Selon le docteur, un workolique est une personne qui a une addiction au travail. Le workolisme est une maladie de l’activité professionnelle (mais pas seulement), disons : une hypertrophie activiste. On pourrait presque l’appeler une maladie de suractivité. Comme toute addiction, comme toute drogue, le workolisme est un interrupteur de réalité. Un workolique travaille sans cesse pour mieux effacer la réalité. Il n’est pas rare qu’il justifie sa suractivité en ayant plusieurs enfants, des pensions alimentaires par exemple qui le justifient et l’obligent à travailler beaucoup plus que les autres êtres humains. Le workolisme est une forme perverse de sacrifice.
Quand on s’approche de près d’un workolique, quand on l’examine avec attention et scrupule, on s’aperçoit que le workolique a en général développé une grande résistance physique, qu’il est en même temps souvent harassé, semble pris dans un engrenage qui le dépasse ; on se souvient de la théorie du hamster pédalant vers l’infini dans sa solitude animale, n’ayant même plus un seul regard vers les petites fenêtres allumées où d’autres histoires commencent.
Le plus souvent, le workolique trouve que les autres travailleurs ne travaillent pas vraiment, voire travaillent mal, pire encore, glandent.
La plupart des workoliques ne prennent pas ou très peu de vacances ; tout arrêt leur paraît diabolique et insupportable. La plupart d’entre eux se plaignent de n’avoir jamais de temps, ce qui leur permet de façon très adroite et stratégique de n’avoir du temps uniquement pour ce qui leur plaît.
Le workolique est un manipulateur.
La plupart des personnes très occupées ne font que ce qu’elles veulent et quand elles le veulent. Elles se trouvent entièrement enfermés en elles-mêmes et dans leur activité, dans leur travail. Elles sont dans une nasse.
Les experts cités par le docteur assurent que les workoliques sont dans la fuite. Comme la fuite est associée au recul, à l’abandon, à la retraite et pas à l’attaque, le workolique trompe souvent son entourage.
Le workolique relève souvent de la catégorie des ogres (fréquent goût pour la nourriture, abondance de biens, incapacité à s’arrêter, frénésie de possession). Le workolique engloutit et s’engloutit. »

Histoire sauvage de Jean-Pierre Ostende