L’étrange tracé
La carte du Québec est facilement reconnaissable à sa ligne droite au sud du Labrador. Mais saviez-vous que cette frontière est indiquée comme non-définitive sur les cartes officielles?
En 1927, le Conseil privé de Londres a été chargé de définir les frontières entre Terre-Neuve-et-Labrador et Québec. À cette époque la future province canadienne est une colonie britannique, et elle s’entendait relativement sur ses frontières avec le Québec. Mais voilà que s’est produit l’incroyable et l’incongru: les juges ont confondu la rivière Romaine avec la rivière Saint-Jean se situant à plus de 200km de distance! Première erreur qui changea le territoire du Québec.
Autre décision étonnante, le Conseil a attribué au Labrador un plus large territoire qu’il n’en demandait. Il a entre autres choisi de définir la frontière sud au 52e parallèle. Décision pratique, mais qui ampute le Québec d’un large territoire. Officiellement la belle province reconnait la ligne de partage des eaux comme frontière.
Depuis 1927, le Québec n’a jamais reconnu ses frontières avec Terre-Neuve-et-Labrador. Mais en pratique au moins 85 décisions administratives (dont l’exploitation de mines) prennent en compte ce tracé. L’absence de population sur ces bancs de neige explique peut-être la mollesse des gouvernements successifs à résoudre la question.
Québec / Nunavut
Une frontière pour le moins énigmatique est celle avec le Nunavut, car officiellement la frontière se situe à «la ligne des basses eaux». Un terme pour le moins vague, car les eaux varient selon les périodes et le temps…
Comme l’explique Henri Dorion dans une entrevue à L’actualité, ce découpage n’a pas de sens, car à peine un Québécois mettrait les pieds dans l’eau à marée basse qu’il serait au Nunavut. Un peu comme si un Belge serait au Royaume-Uni dès qu’il se baignait en Mer du nord, explique le géographe.
Dans un même temps, Henri Dorion rapporte que nous l’avons échappé belle avec le Plan Nord de Jean Charest. Ce dernier voulait construire des ports en eaux profondes… se situant donc au Nunavut! La reprise du Plan Nord par Philippe Couillard exclu au moins ces constructions.
Affirmation inuite
La pêche est implicitement liée à la culture inuite, or d’après le découpage des provinces, le Québec n’a pas d’accès aux eaux profondes à la frontière septentrionale. Et pour les Premières Nations, les frontières ne sont pas vraiment une contrainte…
En 2006, les Inuits du Québec ont demandé au gouvernement fédéral le droit d’utiliser les îles du littoral. Le gouvernement du Québec avait une occasion en or de se joindre au mouvement pour réclamer lui aussi une plus grande marge de manœuvre sur les côtes du nord.
Depuis lors, les Inuits du Québec ont gagné leur cause… et le gouvernement québécois est resté inactif.
Dimension politique
Le juriste et géographe Henri Dorion a passé sa carrière à répertorier les 80 % de frontières incertaines du Québec.
Aujourd’hui, les frontières du Québec ne séduisent ni les foules ni les politiciens. Mais il sera important de faire front et de régler ces incertitudes. Car si d’autres provinces ont des réclamations à faire, le Québec sera désavantagé par son manque de revendications. Mais également pour une question de souveraineté. Comment se séparer du reste du Canada quand le territoire concerné n’est pas clairement établi?
Alors que le Québec est entouré d’eaux, paradoxalement elles n’appartiennent pas à son territoire. Le golfe du St-Laurent est probablement le cas le plus complexe. Aucun texte ne stipule clairement à qui il appartient. Aux provinces? Au fédéral? Certains le considérant même comme international…
Les incertitudes des frontières québécoises sont parfois le fait d’erreurs ou simplement inexpliquées. D’après le géographe Henri Dorion, «aucun État en Amérique n’a des frontières aussi vagues que celles du Québec.»
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Le Québec: territoire incertain, Henri Dorion et Jean-Claude Lacasse aux éditions Septentrion (2011).
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