Le poisson-zèbre est un drôle de zèbre. Il peut perdre une nageoire et elle se régénère. Mieux il perd ses yeux ou son cœur et ils renaissent tel le foie de Prométhée bouffé par l’aigle du Caucase.
Il est donc devenu le premier objet de manipulation par le CRISPR.
CRISPR est un acronyme en anglais dont le P veut dire palindrome, le truc oulipien cher à mon ami Georges Perec. J'en parlais ici il y a dix ans déjà. Ici, il s'agit des fameuses bases azotés de l'ADN T-A-G-C qui peuvent de lire dans les deux sens disons C-G-A-T.
Le CRISPR n’est pas une céréale qui croustille mais le fin du fin de la manipulation génétique. C’est le dernier feu prométhéen qui devrait nous amener selon toute vraisemblance assez rapidement à la punition divine.
Le CRISPR a été mis au point par deux labos dirigés par deux chercheuses prénommées Jennifer et Emmanuelle. C’est un outil relativement peu coûteux et modulable qui permet de couper l’ADN pratiquement où on veut, directement dans une cellule vivante. Ça n’a peut-être l’air de rien dit comme ça, mais si vous étiez généticien, ça vous ferait à peu près le même effet que si Indiana Jones sortait tranquillement du temple et vous tendait le graal en disant « tiens, c’est cadeau ! ».
Pour en savoir plus sur ce couteau suisse de la génétique, lire cette excellente note. Je lui ai piqué la métaphore sur le Graal.
Grace au CRISPR, en février 2014, les chinois ont « fabriqué » des singes macaques humanisés. C'est-à-dire que ces singes ont en eux quelque chose de Tennessee, des bouts de gène humains. Des néo-singes de laboratoire.
Pas en reste les Américains ont sauté sur le CRISPR. Le groupe d’ingénierie du génome du Massachusetts General Hospital (Boston), regroupait 700 personnes fin 2012, début mars 2014, il en comptait 1900 – principalement grâce à la technique CRISPR.
Le domaine d’application est immense : Les plantes, la nourriture industrielle… jusqu’à l’homme nouveau, le transhumanisme. Le débat sur les OGMs version Monsanto risque de devenir obsolète dans les années qui viennent.
Est-ce que la réflexion éthique va pouvoir suivre tous ces docteurs Folamour ? On peut en douter.
Pour ceux qui ont le temps ce texte visionnaire de Jean Rostand, le fils d'Edmond et l'homme aux grenouilles, publié en 1942 que j'ai trouvé au hasard de mes pérégrinations webistiques :
« Il n’est pas impossible que la biologie de l’avenir sache faire profiter notre espèce d’un petit supplément de matière chromosomique. Et l’on pourrait même se demander à cet égard – pour offensante qu’une telle idée doive paraître à notre orgueil – si nous n’aurions pas intérêt à annexer à notre patrimoine héréditaire quelques gènes provenant de telle ou telle espèce animale. Cette annexion pourrait se faire par l’hybridation, elle exigerait l’introduction directe des gènes étrangers dans un ovule de culture. Enfin sera-t-il permis d’imaginer que l’introduction de ces gènes animaux aurait pour conséquence de rompre l’équilibre génétique de notre espèce, et de faire ainsi repartir son évolution vers on ne sait quelles destinées ? Ce serait alors bien d’autres possibilités qui s’ouvriraient à la science.