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Pension de réversion et couples homosexuels: l'Espagne n'a pas violé la Convention EDH

Publié le 15 juin 2016 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti
Pension de réversion et couples homosexuels: l'Espagne n'a pas violé la Convention EDH

CEDH, 3èmeSection, Aff. Aldeguer Tomás c. Espagne (requête n° 35214/09)

Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à l’unanimité à :

la non-violation de l’article 14 (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) à la Convention

Le requérant se plaignait de discrimination fondée sur son orientation sexuelle en raison du refus d’une pension de réversion qui lui a été opposé à la suite du décès de son compagnon avec lequel il avait vécu dans une relation de concubinage.

Or, M. Aldeguer Tomás n’avait pu épouser son compagnon, car en Espagne la légalisation du mariage homosexuel est entrée en vigueur trois ans après le décès de celui-ci

Décision de la Cour

La Cour confirme que la relation qu’entretenait M. Aldeguer Tomás avec son compagnon avant le décès de celui-ci relevait bien des notions de « vie privée » et de « vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention EDH, dans le droit fil de sa jurisprudence récente relative à la situation et aux droits des couples de fait homosexuels.

M. Aldeguer Tomás soutenait que sa situation était comparable ou analogue à celle du membre survivant d’un couple de concubins hétérosexuels qui, s’étant retrouvé dans l’incapacité d’épouser son concubin ou sa concubine avant l’entrée en vigueur de la loi autorisant le divorce en 1981, pouvait prétendre à une pension de réversion en vertu d’une disposition de cette loi. A l'opposé, le gouvernement espagnol réfutait l’existence d’une véritable analogie puisque, avant l’entrée en vigueur de la loi de 2005, les couples homosexuels se heurtaient à une impossibilité totale de se marier, tandis que les couples hétérosexuels en question étaient en droit de se marier mais étaient restés dans l’incapacité d’exercer ce droit avant 1981 parce que le divorce était interdit.

Sur ce, la Cour observe certaines similitudes entre les deux situations envisagées in abstracto, cependant, rajoute-t-elle, ces éléments à eux seuls ne permettent pas de considérer que la situation dans laquelle se trouvait M. Aldeguer Tomás en 2005 était comparable à celle du concubin survivant d’un couple hétérosexuel qui n’avait pas eu la possibilité de se marier avant l’adoption de la loi de 1981.

Comme l’a noté le Gouvernement, la disposition en cause dans la loi de 1981 visait spécifiquement à offrir une solution exceptionnelle aux couples concernés en accordant au concubin survivant le bénéfice d’une pension de réversion sous certaines conditions. De surcroît, cette solution doit être replacée dans le contexte  de l’époque (les années 80) caractérisé par des inégalités entre hommes et femmes concernant l’accumulation des droits à pension dans le cadre du travail rémunéré, puisque les femmes étaient sous-représentées dans la population active.

En outre, poursuit la CEDH,  l’obstacle juridique en question n’est pas de même nature dans les deux cas : en effet, dans le cas d’un couple hétérosexuel concerné par la législation en vigueur avant l’introduction de la loi de 1981, l’obstacle résidait dans l’impossibilité pour l’un des partenaires ou les deux de se remarier, et non dans l’interdiction du mariage en soi. La situation factuelle et juridique spécifique qu’a souhaité modifier le législateur de 1981 ne saurait donc véritablement être comparée à celle d’un couple homosexuel auquel le mariage était strictement interdit avant l’adoption de la loi de 2005.

En conclusion, la situation dans laquelle se trouvait M. Aldeguer Tomás en 2005 était fondamentalement différente de celle des couples hétérosexuels visés par la disposition en cause de la loi de 1981.

Le fait qu’en votant la loi sur le mariage entre personnes de même sexe en 2005, c’est-à-dire après le décès du partenaire de M. Aldeguer Tomás, le législateur espagnol ait reconnu aux concubins survivants des couples homosexuels le droit de percevoir une pension de réversion ne remet pas en cause cette constatation. L’adoption de ce texte ne saurait être compris comme un aveu de la part des autorités espagnoles que la non-reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe ou le refus aux couples homosexuels de certains droits et prestations accordés aux couples mariés, à  l’époque des faits, n’étaient pas compatibles avec la Convention EDH .

La Cour rappelle en outre sa propre jurisprudence suivant laquelle les États disposent d’une certaine marge d’appréciation dans le choix du rythme d’adoption des réformes législatives visant à la reconnaissance juridique des couples de même sexe et au statut précis à leur conférer, ces questions étant en pleine évolution et aucun consensus ne se dégage à l'échelle européenne.

La Cour conclut par conséquent que M. Aldeguer Tomás n’a pas été victime de discrimination. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1.


Pour en savoir plus:Arrêt Aldeguer Tomas c. Espagne (en anglais uniquement)

+Viganotti Elisa Avocat de la famille internationalePension de réversion et couples homosexuels: l'Espagne n'a pas violé la Convention EDH

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