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La mort du Roi Louis II dans la presse parisienne; Le Roi Vierge, un article paru dans le Gil Blas du 16 juin 1886

Publié le 14 juin 2016 par Luc-Henri Roger @munichandco
La mort du Roi Louis II dans la presse parisienne; Le Roi Vierge, un article paru dans le Gil Blas du 16 juin 1886 LE ROI-VIERGE
Le roi Louis de Bavière — le Roi Vierge — s'est noyé — quelques-uns disent : a été noyé — dans le lac de Stanberg. Les détails manquent encore sur cette catastrophe ; toutefois, il est permis de dire que toute idée d'attentat doit être écartée. Louis II était un mystique et un mélancolique : c'était aussi un autoritaire, qui se cachait sous les apparences d'une excessive timidité. La royauté n'était guère à ses yeux qu'une auréole que la destinée avait mise à son front, — mais cette auréole, il entendait la garder.
Nature indépendante jusqu'à la faroucherie, habitué à se livrer aux mille fantaisies de son imagination surexcitée et délirante, il est probable que le malheureux roi n'a pu accepter cette idée de se voir observé, surveillé, traqué par un conseil de médecins, qui lui apparaissait comme une escouade de sbires et de geôliers.
Esprit contemplatif et inquiet, il marchait vivant dans son rêve étoilé — quand, brusquement, l'affreuse réalité le saisit à la gorge et le fit rouler à terre.
Le pauvre roi ne put, sans doute, résister à cette chute lamentable. Lui, qui avait chassé comme un traître son plus vieux serviteur parce qu'il s'était permis de traverser, sans penser à mal, un jardin qui lui était réservé ; il dut se sentir horriblement froissé de voir une surveillance incessante, un contrôle de toutes les heures, peser sur sa vie. Il se dit sans doute que le mieux était de rejoindre le pays bleu des rêves où l'âme nage à son gré dans l'éther — et il se tua ! Le directeur du comité supérieur de médecine, M. de Gudden, qui accompagnait le roi dans sa promenade sur le lac, se noya en voulant sauver son maître, après une lutte désespérée. On retrouva ensemble les deux corps inanimés — et tous deux râlants, ils expirèrent presque au même moment. Il était écrit que la vie de cet homme ayant été une fantasmagorie, sa mort elle-même devait avoir quelque chose d'étrange. Je n'eusse pas été étonné que le roi fut mort, habillé en Lohengrin, un air de Parsifal sur les lèvres et le regard, — un regard séraphique — plongé dans le lac que reflétait l'azur du ciel et sur lequel glissait sa gondole traînée par des cygnes.
Il a dû se pâmer comme dans une infinie extase en donnant le baiser nuptial à la seule épouse qu'il ait eue — la Mort.
C'est que c'était une créature étrange, une sorte de sphinx que personne n'a pu déchiffrer — pas même Wagner, son Dieu ! J'ai personnellement souffert en voyant ces jours-ci notre injustice et notre ignorance, en ce qui le concernait.
Il m'a semblé qu'il valait mieux que les quelques lignes — écho fidèle des colères allemandes — que lui consacraient nos journaux.Le Roi Vierge était aussi le Roi Artiste, — et il aimait la France, le pays des arts et des lettres. Il parlait le français avec pureté et élégance; il adorait Molière; et est-ce bien à nous de lui reprocher de s'être fait donner, pour lui seul, une représentation de Théodora, en son théâtre particulier ?
Au surplus, pouvons-nous oublier son attitude vis-à-vis de l'empereur d'Allemagne,qu'il refusa d'aller saluer à Ratisbonne et d'assister à l'entrevue des trois empereurs ? Pouvons-nous enfin ne pas nous souvenir qu'il fut de tout temps hostile à l'hégémonie prussienne, et qu'il tança d'importance le bourgmestre de Fussen, pour avoir fêté, dans cette ville, le passage du prince royal de Prusse, — « notre Fritz » ?
***
Le roi Louis II avait quarante et un ans. De taille élevée, très brun, il avait réellement grand air, et lorsqu'il était à cheval, vêtu de son uniforme blanc, on l'admirait volontiers en Bavière. Il avait quelque chose de gracieux, de séduisant et de conquérant — comme un roi de féerie ! Mais il s'échappait vite des cérémonies et du bruit; il courait se costumer en pâtre ou se revêtir d'une armure pour se réfugier dans un de ses palais fantasmagoriques—chefs-d'œuvre de la mécanique moderne — où, sous des palmiers en zinc habités par des oiseaux chanteurs fabriqués à son intention, il soupirait à la clarté d'une lune-électrique.
Il n'aima profondément qu'une chose ici-bas — la solitude — parce qu'elle le portait au surnaturel. Ce qu'il affectionnait en Wagner, c'était son œuvre, — l'homme n'eut, quoi qu'on en ait dit, aucune influence sur son esprit. Une seule personne lui inspira de la reconnaissance: sa nourrice.
Il défendait impérieusement qu'on rompît le lien qu'il avait placé entre le monde et lui. Mme Pelouze en sait quelque chose : tout récemment, elle était à Munich, et elle ne put visiter un des palais royaux que grâce à un subterfuge!
***
Sans doute, les hallucinations qu'il avait — et dans lesquelles il se complaisait — démontrent suffisamment que son cerveau était mal équilibré. Mais il y a aussi sur son cas une curieuse étude à faire de l'hérédité en matière de folie.
Lisez plutôt cette étude prise, sur le vif, du Roi- Vierge, de Catulle Mendès et dans laquelle les noms seuls ont été changés.
Le roi s'adresse à sa mère, celle dont M. de Bismarck disait : « Si elle était un homme, avant deux ans cet homme serait empereur d'Allemagne. ».
Les femmes ne règnent pas en Thuringe (en Bavière), — il eut un petit pli de la lèvre où riait un peu de malice, — et qui donc, moi disparu, n'étant plus qu'un homme après avoir été un roi ou n'étant plus qu'un cadavre après avoir été un homme, qui donc mettrez-vous à ma place ? Sera-ce mon grand-oncle, le prince Max, qui, gris de Champagne, jonglait avec un obus vide et une bouteille pleine pendant que nos .soldats, mouraient sur les bords de l'Elster ?
Aujourd'hui, à soixante-douze ans, ce vieil enfant ivre, joue les rôles de petits pages sur son théâtre de Vallersee, en compagnie d'une Sylvia en cheveux gris, princesse en Thuringe après, avoir été figurante en Autriche. Choisirez-vous mon frère Welf? Il a l'habitude de s'habiller en archevêque pour se baigner dans l'étang du château des Sirènes, et de se mettre en chemise pour recevoir les ambassadeurs. Préférez-vous le prince Christophe, plutôt centaure qu' homme et plutôt cheval que centaure?
Dans la cour de son palais on a construit un cirque où sa femme, une ancienne écuyère, passe en jupe de gaze à travers des cerceaux de papier, pendant que, costumé en Hongrois, il fait claquer son fouet au milieu de la piste; son plus inquiet souci est de monter une jument noire les soirs d'orage, une jument blanche les jours de neige, et, l'autre matin, à l'église, pressé de partir pour la chasse, il a crié au prêtre officiant : a Allons, hop! mon père! » En vérité, madame, depuis Théodore V, qui, ayant cinquante favorites et quatre cents lévriers, mettait des rubans de perles au cou de ses chiens et des colliers de fer au cou de ses maîtresses, nous sommes tous quelque peu fous dans la branche Albertine des Wittelsbach, et, des trois ou quatre insensés qui ont une apparence de droit à régner sur la Thuringe, je suis encore le moins extravagant, puisque je me borne à la belle fantaisie de me vêtir en héros ou en dieu et au souriant caprice d'écouter, quand je ne puis entendre la divine musique de Hans, les jolies paroles chantantes des oiseaux que me fabrique un magicien de Nuremberg.
Frederick — ou plutôt Louis II — avait raison. Et la preuve, c'est que c'est au nom d'un fou — le prince Othon — qu'un prussophile — le prince Luipoldt exerce la régence.
*** 
Pourtant le fils de Maximilien II eût pu être un grand homme sinon un grand roi. Et le peuple, qu'il étonnait, le comprenait bien puisqu'il l'adorait. Et les femmes le sentaient bien puisqu'elles essayèrent maintes fois d'aimer ce beau jeune homme, qui leur apparaissait comme Thésée, le héros fabuleux, dans le Songe d'une nuit d'été. N'avait-il pas fait de belles choses après tout ? N'avait-il pas pris à l'Allemagne son seul grand artiste — Wagner ? N'avait-il pas, nouveau Louis XIV, construit un château de marbre et d'or, somptuosité identique à celle de Versailles, et dans laquelle, sous les milliers de lustres allumés, il promenait seul sa majesté ? N'était-ce pas un attrait irrésistible et un charme invincible que cet inconnu qui "entourait et l'envahissait ? Que seul, en son théâtre, il applaudît Tristan et Yseult, ou que perdu dans la nuit de ses rêves, il commandât aux éléments, en improvisant des orages ou en faisant inopinément briller le soleil, par suite de trucs ingénieux qu'il voulait ignorer, il n'était pas vulgaire!
Certes, non, il n'était pas vulgaire, cet homme, qui, même avant que 1 âge mûr n'épaissît ses traits, se refusa à la souillure de tout contact féminin — et mérita, -en mourant, d'être appelé le Roi Vierge.
Catulle Mendès a expliqué d'où lui vînt cette répulsion ; le passage tout entier de son beau livre est à citer-et j'espère que Gil Blas le citera. Je ne sais, pour moi, si la bestialité d'un acte qu'il ignorait lui répugna. Ce qui est certain, c'est qu'il ignorait tout des choses de la vie. Je n'en veux pour preuve que la colère dans laquelle il entra quand on lui dit que Mme Schn..., sa cantatrice favorite, ne pourrait jouer Tristan et Yseulty par suite d'une indisposition périodique qui motive toujours, en Allemagne, un repos pour les femmes artistes !
Ainsi, vivant dans une autre atmosphère que la nôtre, il rejetait tout ce qui contrariait son idéal. Faut-il mentionner ce fait. qu'il précipita dans ce lac de Starnberg, où il s'est noyé, la même Mme Schn... , parce qu'elle était tombée dans ses bras?
Est-il nécessaire de rappeler qu'il adora, par correspondance, la fille d'une archiduchesse d'Autriche, la comtesse Max, et qu'il la quitta, au moment où il allait traverser les rues enguirlandées de Munich pour se rendre avec elle à l'autel ? N'est ce point enfin violer un secret que de raconter qu'il fut éperdument amoureux de l'impératrice Eugénie — uniquement parce qu'il savait qu'elle ne pouvait être à lui?
On dit qu'en présence de la violence de ses sens et de la répugnance qu'il avait pour l'amour, il s'émascula à vingt-huit ans. Je le crois volontiers. Je le crois, comme je crois à son suicide, en dépit des circonstances mystérieuses dans lesquelles il a été accompli. A moins, toutefois, que le Roi-Vierge n'ait suivi l'exemple de Néron se faisant tuer par un affranchi! Il était dit que, jusqu au delà de la vie, — tout serait étrange chez cet homme.
Fernand Xau.
P. S. — Voici, telles qu'elles nous sont parvenues, les dépêches relatives à la mort du roi Louis II : Munich, 4 h. 50.
Le roi Louis II se serait précipité dans le lac de Starnberg un peu avant sept heures.
Sa montre, arrêtée par l'eau qui avait pénétré entre le verre et le cadran, marque 6 heures 53 minutes. Le docteur Mueller et le régisseur du château, M. Hubert, ramenèrent les deux noyés sur le bord et les transportèrent dans leurs lits.
Il n'y avait plus trace de pouls ni de respiration. Le docteur Mueller, aidé par deux infirmiers et deux anciens soldats du corps de santé, fit pendant plusieurs heures des tentatives pour rappeler les deux noyés à la vie, jusqu'au moment où il constata que tout était inutile.
D'après les dernières nouvelles reçues ici du château de Berg, une lutte violente aurait eu lieu, avant la catastrophe, entre le roi et M. Gudden. Ce fait semble prouvé par de nombreux piétinements sur la vase du lac et par les égratignures constatées sur le visage de M. Gudden, Il y en a deux très fortes et deux autres moins importantes au côté droit du nez et à la tempe droite. Avant de se jeter dans le lac, le roi s'était débarrassé de son habit et de son pardessus. 1l paraît que M. Guddén le suivit immédiatement. 
Munich, 6 h. 15.
Le 2e supplément de la Gazette universelle publie une dépêche privée de Strasbourg, disant que le roi avait fait le matin sa promenade habituelle dans le parc, et avait causé fort tranquillement pendant un certain temps, assis sur un banc du « Parc aux cerfs » tout près de l'endroit où se trouve un tableau indiquant qu'il est défendu de débarquer. Le soir, le roi avait dîné de bon appétit et assez rapidement, car le dîner fut achevé au bout d'une demi-heure. Il paraissait très calme. A six heures trois quarts, il quitta le château en compagnie de M. Gudden, et invita le docteur à renvoyer les domestiques.
Les cadavres du roi et du médecin furent découverts dans le lac, à onze heures du soir, à cinquante pas de la rive près de l'endroit signalé plus haut, dans une profondeur d'eau de un mètre et demi, Il semble résulter de la première enquête que M. Gudden aurait été précité dans le lac.
Les tracés du roi ont pu être suivies plus loin que celles du médecin. En outre, le pardessus du roi, retrouvé sur le bord de l'eau, lui avait été visiblement enlevé des épaules dans une lutte.
Enfin, le front et la joue de M. Gudden portent des traces d'ongles.
Conformément à la constitution bavaroise, le prince Othon, frère du roi Louis, bien que malade d'esprit, a déjà été proclamé roi, sous la régence du prince Luitpold.
Le serment des troupes a été reçu par MM. Bausch et Milden, auditeurs attachés à l'état major général. Les cloches de toutes les églises ont sonné en signe de deuil. Le, population de la capitale est profondément émue. La foule afflue dans les principales rues de la ville, malgré une pluie battante. Des milliers de personnes stationnent devant la résidence royale, attendant la proclamation des nouvelles, qui se font encore attendre. Jusqu'à présent, la mort du roi n'a été annoncée que par un avis de la police placardé dans la ville.
A midi, trois ministres, MM. Crailsheim, Faenstlé et Riedel, se sont rendus au château de Berg, pour rédiger le procès-verbal de la levée du corps du roi. Le cadavre sera transporté à Munich au plus tôt et sera exposé publiquement dans la chapelle du vieux château. Les églises sont pleines. Les troupes sont consignées dans lès casernes. La ville a l'aspect morne, mais parfaitement tranquille.
Munich, 10 h. 20 soir.
La dépouille mortelle du roi arrivera cette nuit entre deux et trois heures. L'autopsie sera faite par le professeur Kuedinger. La mise en bière aura lieu dans la soirée. La date des funérailles n'est pas encore fixée. On parle de samedi.
Le Bulletin des Lois, qui vient de paraître à l'instant, contient le rescrit suivant relatif à la succession au trône et à l'établissement de la régence : « Au nom de Sa Majesté le roi; .- » La maison royale de Bavière et son peuple fidèle, dans la prospérité comme dans le malheur, viennent d'être frappés par le sort.
» Dieu, dans son insondable sagesse, a voulu rappeler à lui Sa Majesté le roi Louis II. Par cette mort, qui remplit de douleur la patrie entière, le royaume de Bavière, dans l'intégralité de toutes ses parties anciennes et nouvelles, échoit, conformément aux dispositions de la constitution basée sur les traités conclus par la maison royale et par l'Etat, à notre bien-aimé neveu, au frère de feue Sa Majesté, à S. A. R.
le prince Othon, aujourd'hui Majesté par droit de primogéniture et de succession agnatique.
» Comme S. M. Othon est, en raison d'une maladie qui dure depuis longtemps déjà, empêché de régner, nous avons, conformément aux dispositions de la constitution, et à titre de plus proche agnat, assumé la tâche de diriger le gouvernement.
» La convocation du landtag prescrit par la constitution a déjà eu lieu.
» En nous chargeant par les présentes de la régence du royaume, au nom du roi, nous attendons que tous les sujets du royaume de Bavière se montrent prêts, ainsi que c'est leur devoir, à reconnaître Sa Majesté comme leur unique souverain légitime, et lui témoignent, ainsi qu'à nous-mêmes, en notre qualité de régent désigné par la constitution une fidélité inaltérable et une obéissance absolue, afin que la marche des affaires de l'Etat ne souffre aucune interruption.
Nous attendons, en outre, que tous les fonctionnaires et toutes les autorités continuent jusqu'à nouvel ordre à remplir les obligations de leur charge comme auparavant.
Les actes publics seront passés dorénavant au nom de Sa Majesté le roi Othon de Bavière, dans les cas fixés par la loi ; mais les fonctionnaires continueront à se servir des sceaux actuels, jusqu'à ce que les sceaux qui devront être établis à nouveau leur aient été remis. Nous rappelons particulièrement à tous les fonctionnaires le serment qu'ils ont-prêté à la constitution et au gouvernement, et nous espérons que tous les sujets de Sa Majesté répondront fidèlement à l'appel, que, dans notre profonde affliction nous venons de leur adresser au nom du roi.
Donné à Munich, le 14 juin 1886.
Signé : LUITPOLD, prince de Bavière; Dr baron de LUTZ ; Dr de FAENSTLÉ ; baron de CRAILSHEIM; baron de FJEIBITSCH ; de HEINLETH.
F. X.

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