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Prépas : après le bac, le bagne ?

Publié le 17 juin 2008 par Adamantane
Prépas : après le bac, le bagne ? Dans Le Monde daté du mercredi 11 juin, Martine Laronche rend compte d'une des communications présentées au d'un colloque organisé par l'association Santé grandes écoles le vendredi 6 juin, à Paris.
L'accent est mis, à juste titre, sur les souffrances psychiques endurées par les étudiants des classes préparatoires aux concours d'entrée dans les Grandes Ecoles.
Des témoignages, qui ne sauraient être mis en doute, étayent cette réalité.
J'ai été formé, il y a une trentaine d'années, à une méthode de résolution des problèmes développée par Charles Kepner et  Benjamin Tregoë, méthode dont une des étapes consiste à mettre en parallèle les caractéristiques des environnements dans les quels le problème est constaté, et celles des environnements dans les quels il ne l'est pas. L'idée est d'identifier une ou plusieurs divergences entre ces ensembles de conditions, et d'en déduire des causes potentielles.
D'ailleurs, le papier de Martine Laronche en  contient une esquisse d'application : Les élèves de prépa sont issus de milieux particulièrement privilégiés, avec des modèles identificatoires forts. Autrement dit, la fille du boulanger a plus de chances de rester cool que le fils du pédégé.
La seule contribution que je pourrais apporter à l'étude de ce problème de santé mentale est une mise en parallèle de ce que j'ai vécu entre 1956 et 1959 et ce que vivent cinquante ans plus tards les préparationnaires d'aujourd'hui.
Les élements sociologiques à prendre en compte pour pondérer la description que je puis faire, de mémoire, de non vécu de taupin sont :
-mon milieu : aîné de famille nombreuse, mère enseignante et père artisan-entrepreneur en menuiserie
-mon enfance : demi-pensionnaire dès dix ans, interne dès douze ans, boursier du gouvernement
-mon âge : j'ai fêté mes dix-sept ans en prépa en ayant redoublé une classe du secondaire
-ma scolarité : à dominante littéraire, avec virage résigné mais réussi vers le bac mathélem sur injonction parentale
-mon destin vu par mes parents : le bicorne et la tangente [ voir l'idée fixe du savant cosinus, page 15...En attendant d'aller ad astra, Cosinus est allé à Polytechnique...] puis un poste de direction aux chemins de fer
-mon projet personnel : être avocat
Quelles étient les caractéristiques essentielles de la Taupe HIV telle que je l'ai fréquentée, comme interne ?
-56 élèves en hypotaupe, avec un taux de sélection annoncé de 1/4 ; 25 en taupe, et redoublement admis si et seulement si admissible à au moins un concours ;
-7 heures de cours par jour, sauf le jeudi après-midi et le dimanche ;
-4 h d'étude par jour (1/2 le matin, 1/2 après le déjeuner, 2 avant le dîner, 1 après le dîner) ;
-lever à 6 h 45, déjeuner à 12 h 15, dîner à 19 h, dortoir à 21 h, extinction des feux à 22 h ;
-une colle de maths et une de physique-chimie par semaine, plus l'anglais et d'autres pérpéties moins fréquentes;
-un devoir de maths par semaine ;
-dans chacune des matières, un devoir sur table noté par mois.
Personnellement, mes seules surprises furent de constater que je n'étais plus le plus jeune de ma classe, et que si je continuais selon mes habitudes du secondaire, à savoir me contenter d'écouter les cours en prenant des notes pour faciliter l'ancrage des acquis, je me retrouvais au milieu du classement et non plus dans le premier quart. Je me mis donc à m'astreindre à relire au moins une fois mes notes.
Je ne me souviens pas d'avoir perçu de manifestations de stress de la part de mes camarades de classe, les internes au moins, soit près du tiers de l'effectif. Les externes, eux, ne montraient guère d'absentéisme.
La nourriture dispensée par l'Education Nationale était relativement saine, bien que peu variée, ce qui provoquait des chahuts récurrents à la gloire de l'intendant. Les conditions de travail étaient plutôt spartiates, qu'il s'agisse des salles de classe ou d'étude, meublées de bancs collectifs et de planches à écrire un peu rugueuses, et le dortoir conforme aux normes usuelles d'un casernement. Il est vrai que nous aspirions à loger ensuite à 200 m de là,  rue Descartes, dans des locaux franchement militaires et célèbres pour leur noble inconfort.
Certains d'entre nous utilisaient le temps libre du jeudi après-midi pour  une déambulation au quartier latin, une halte au Luxembourg ou une séance de cinéma de préférence au Champollion, spcialisé dans les fims d'auteurs du répertoire classique. Une semaine sur deux je rentrais en banlieue passer le dimanche en famille, retour le soir pour être en forme le lundi matin. Pendant les récréations, selon le climat , nous  jouions au bridge ou à la pelote à main nue (*).
Pendant les trois années passées en prépa, je ne me souviens pas avoir eu de moment de déprime : le régime de l'internat m'était familier, j'avais le loisir de lire beaucoup, surtout de la philosophie et de la science fiction, et personne ne se préoccupait de savoir si je passais mon temps sur les exercices corrigés du Aubert & Papelier où à travailler à mes recherches sur Mallarmé, Verlaine et Rimbaud...voire à écrire de la poésie pour mon propre compte.
Ma vie affective était partagée entre une très franche camaraderie avec certains de mes compagnons – je suis resté en contact avec quelques uns d'entre eux – et des relations épistolaires, à forte connotation amoureuse , et très suivies avec une de mes amies du Lycée de Meaux.
Il se peut que la différence essentielle réside non dans la durée des cours, la complexité des matières, la lourdeur des programmes, et/ou le système de contrôle et de notation, mais dans le style de vie quotidienne.
L'internat nous proposait – sans nous demander beaucoup notre avis, quoique l'année où je fus président de la Taupe j'eus, car c'était mon rôle, à négocier avec les surveillants généraux et les professeurs pas mal d'ajustements de la vie scolaire – un cadre permanent qui nous garantissait une régularité quasi-monacale dans nos horaires et nos occupations, et l'absence de perturbations externes, y compris une protection forte contre l'ingérence parentale dans les activités intellectuelles.
Le Monde daté du 14 juin publie un article qui pourrait aller dans le sens de cette hypothèse : Jeunes en péril. Catherine Rollot et Martine Laronche ont organisé la page dédiée à cette enquête autour de six thèmes : le recours aux soins – et la contraception –, l'alimentation, le tabac, l'alcool, la drogue – et les stimulants médicalement administrés – et la perception de l'avenir. Le thème de la structuration du temps n'y est pas directement abordé.
En 1956, le recours aux soins était sous contrôle de la famille, la contraception se limitait aux préservatifs, l'alimentation était gérée par l'institution, nous étions peut-être plus nombreux à fumer qu'aujourd'hui, l'alcool et la drogue n'appartenaient absolument pas à nos pratiques, et notre perception de l'avenir, si elle était assombrie par les risques de réchauffement apocalyptique de la guerre froide, demeurait optimiste pour ce qui était de notre destin personnel.
(* ) Il s'agit bien sûr d'un jeu qui se pratique avec une balle et un fronton...


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