Patient partenaire, ressource, e-patient, expert, peu de gens s'accordent sur le terme adéquat pour qualifier ce nouveau type de patient qui émerge depuis quelques années. A croire qu'il dérange un système bien établi, bien ancré dans un paradigme pourtant obsolète dans lequel la toute puissance médicale régnait sans ombre ni opposition d'aucune part. Pourtant, initié par les alcooliques anonymes, relayé par les malades du sida, des voix s'élèvent enfin. Alors peu importe le nom dont on nous affuble, gageons que le patient sera bientôt un acteur à part entière du système de santé, un acteur qui compte enfin !
Le patient partenaire de son médecinSi vous me lisez, vous savez à quel point je suis attachée à la reconnaissance de l'expertise patient qui joue un rôle fondamental complémentaire à l'expertise scientifique du médecin. Une relation de soin satisfaisante ne peut se concevoir sans la somme de ces deux savoirs. Le savoir que l'on dit " expérientiel " d'un patient qui vit sa maladie, les connaissances acquises tout au long de son parcours permettent d'établir une relation plus horizontale, moins paternaliste, plus juste. C'est une réalité particulièrement dans le cadre des pathologies chroniques ou graves. Vivre longtemps avec une maladie permet d'acquérir des compétences qui ne devraient plus être contestées.
Malheureusement en France, cette expertise a du mal à trouver sa place notamment parmi les professionnels de santé. Remise encore en cause par certains, elle bouscule, dérange, un paradigme bien ancré dans notre culture : le médecin, fort de ses nombreuses années d'études médicales connaît la pathologie, la façon de la soigner et le patient souvent cantonné dans une situation de sidération due à l'annonce d'une pathologie grave, est considéré comme incapable de reprendre le dessus. Mais la sidération ne dure qu'un moment et bien vite, le patient retrouve ses capacités de jugement, ses facultés de comprendre, de s'informer, de discuter les options de traitement, de partager la décision avec les médecins.
Certains professionnels se cachent derrière le concept d'Evidence Based Medecine (EBM), la médecine fondée sur les preuves. Or l'EBM prend bien en compte les valeurs et préférences du patient comme éléments d'une importance équivalente au jugement clinique et à l'évidence scientifique.
Pourquoi l'EBM a-t-elle soudainement perdue une partie du triptyque ? Je vous laisse juge .... Quoi qu'il en soit, du coup, notre médecine avance encore en clopinant, au détriment des patients.
Le patient une ressource essentielle pour ses pairsLe patient " ressource ", fort de son expérience de la maladie, peut dans certains cas devenir une aide précieuse pour les malades qui cherchent des informations à leur tour. On le voit déjà depuis des années dans la vraie vie, les patients plus aguerris aident et soutiennent les autres, ne serait-ce que par le biais des associations.
Ce patient est mieux accepté. On parle de savoir " profane " qui ne remet en rien en cause le savoir scientifique des sachants. Les moins ignorants enseignent aux débutants, tant que cela en reste là, plus de débat ou presque. D'ailleurs vous remarquerez que le patient ici est dit " ressource " et non " expert " comme on peut le voir dans le plan cancer 3, certainement dans le souci de ne pas froisser les " vrais " experts.
Le e-patient connectéC'est devenu encore plus vrai avec l'avènement du web 2.0. Internet avec son lot de blogs, de forums et de réseaux sociaux permet encore plus facilement le partage d'expériences entre malades.
Mais le web met aussi à la disposition de tous des contenus scientifiques autrefois difficiles à se procurer. Le patient s'informe y compris au delà des frontières et cette connaissance permet d'aller au delà de l'expérience simple de la maladie. Dans ce cas on parle de e-patient. Le terme a été inventé par Tom Ferguson dans les années 80 ; e était initialement pour electronique , rapidement élargit à empowered (se donner le pouvoir de), engaged (impliqué), equipped (éduqué/informé), enabled (se donner les moyens), educated (instruit), expert ...
Le patient expert auprès des institutionsJe suis un peu pessimiste me direz-vous. En 2016, on nous rebat les oreilles avec le patient " au cœur de sa prise en charge ". Il est finalement reconnu comme partenaire de soins par beaucoup de professionnels, ressource incontournable pour ses pairs, la recherche sur internet finit par être considérée comme inéluctable. Mais quid de la reconnaissance de l' expertise patient auprès des institutions ?
Depuis la loi de mars 2002, dite loi Kouchner, les patients ont acquis des droits dont celui de siéger sous certaines conditions dans les instances. Certaines jouent le jeu presque parfaitement comme la Haute Autorité de Santé qui a inclus dans certaines de ses commissions non seulement des représentants d'associations agréées mais aussi des patients reconnus pour leur expertise au même titre que les professionnels de santé.
Mais il reste encore quelques failles dues probablement aux réticences de certains : les commissions d'évaluation des médicaments par exemple commencent tout doucement à inclure nos représentants mais ceux-ci sont d'abord médecins avant d'être patients. Personne n'est parfait ! La maladie quelle qu'elle soit empêche certainement la faculté des neurones.
Mais voilà qu'un nouveau type de patient fait son apparition depuis quelques temps dans les universités : le patient enseignant.
Il semble en effet évident que la médecine est avant tout une relation entre deux êtres humains, une relation de soin pas si facile à appréhender on l'a vu plus haut. Jusque-là les études de médecine ont été centrées sur la science. Connaître les pathologies, les moyens de les soigner sont choses ardues et des années sont nécessaires pour acquérir toutes les connaissances nécessaires pour guérir les malades. Accompagner une personne qui souffre est pourtant plus compliqué que ça. Le colloque singulier a justement ceci de singulier qu'il met en présence deux êtres humains dans une relation rendue verticale et déséquilibrée par la fragilité dans laquelle l'un des deux se trouve. Le médecin ne peut pas se reposer uniquement sur ses connaissances scientifiques mais se doit de considérer la dimension humaine de la personne en face de lui tout en gérant les contraintes économiques de notre système, ses contraintes de temps, ses propres représentations de la maladie.... La personne malade n'en reste pas moins un être humain avec des préférences, des valeurs, des droits.
Et c'est justement là où est toute la difficulté. Et qui peut mieux que les patients enseigner aux jeunes internes cet aspect des choses.
C'est ce qu'Olivia Gross chercheur à l'Université Paris XIII, a décidé de mettre en place, en permettant de créer des postes de patients enseignants dans le cursus de médecine. Et depuis janvier dernier, des patients participent à l'enseignement dispensé aux internes en médecine générale de la fac de Bobigny. J'ai la chance et l'honneur d'en faire partie et j'ai donné mon premier cours le 1 er Juin dernier. Un moment passionnant d'échanges avec ces futurs médecins soucieux de bien faire mais que j'ai senti parfois désemparés. J'ai pu mesurer à quel point leur métier est difficile et à quel point l'apport de la vision patient est importante afin de leur donner toutes les clés pour créer une véritable relation de soin.
Pour continuer, Olivia a besoin de vous car le budget alloué par l'université ne couvre qu'une partie du programme de l'année. Il ne manque plus que quelques centaines d'euros pour permettre de déployer en masse l'expérimentation. Pour aider le déploiement du programme patients-enseignants rendez-vous ici .
Nous l'avons rêvé, Olivia l'a fait ! Merci à elle et j'espère que non seulement ce projet ira jusqu'au bout mais qu'il sera généralisé rapidement afin que le " care " retrouve toute sa place dans le " cure ".
Peu importe les réticences, peu importe les oppositions, le changement de paradigme est bien amorcé, et n'en déplaise à certains, la révolution est inexorablement en marche!
Catherine Cerisey