Magazine
Jugement de Lille-mariage annulé (III): réponse au Bâtonnier de Paris
Publié le 11 juin 2008 par Hermas
M. le Bâtonnier de Paris, M. Charrière-Bournazel, était
l'invité, ce matin, de Radio Notre-Dame (à écouter pendant 7 jours, ICI) et s'est, bien sûr, exprimé sur le désormais fameux jugement de
Lille. Il était intéressant d'entendre - enfin - un juriste s'exprimer en argumentant sur cette question de droit... même si son raisonnement était faussé par des a priori idéologiques
que nous devons ici réfuter.
En substance, selon lui, ce jugement serait inacceptable parce que chacun a le "droit à l'oubli", ce qui donnerait à
chacun le "droit au mensonge par omission" (sic), ce qui serait interdit à la femme à cause d'une "inégalité" naturelle et sociale inadmissible. Et il s'appuie sur le fait que
les qualités essentielles ne pourraient pas porter sur des éléments du "passé", mais uniquement sur des éléments inhérents à la personne et ayant un effet sur le futur (refus d'avoir des
enfants, erreur sur la personne).
L'idéologie retrouvait tout de même ses droits, lorsqu'il a constaté que cette décision, qui lui semble "venir d'un autre
âge", validerait une volonté d'appropriation exclusive d'un conjoint par l'autre, ce qui serait "une réaction d'impuissant" (sic). Rien de moins.
Son avis étant argumenté, M. le Bâtonnier de Paris ne verra pas d'objection à ce que s'exerce la contradiction.
1°- Sur la définition des qualités essentielles, il suffit de
relire la jurisprudence (v. notre article n° II) pour comprendre que le "passé" peut constituer une qualité substantielle : le fait d'avoir caché un condamnation pénale ou le fait d'avoir
eu une relation durable, par exemple, a justifié une annulation pour erreur sur une qualité substantielle. Ces faits étaient passés et on ne pouvait savoir s'ils influenceraient le futur, mais
ils ont une incidence forte sur la personne de l'époux et sur ce que l'autre est en droit d'attendre de son conjoint. Or, on l'a vu, la loi admet - inévitablement - une appréciation subjective de
ce qui est une qualité essentielle.
Si l'on veut encore un exemple du fait que le passé d'un conjoint peut constituer une qualité substantielle, il a, par exemple
encore, été jugé que le fait d'avoir caché à son épouse un précédent mariage pouvait justifier l'annulation du mariage (v. Cass. 1ère Civ., 2 décembre 1997, pourvoi n°
96-10.498).
Le raisonnement de M. le Bâtonnier manque donc manifestement en droit.
2°- Quant au "droit à l'oubli", qui donnerait droit (?) au
"mensonge par omission", c'est cela précisément qui nous renvoie à l'archaïsme et à l'ancien Régime, avec l'adage de Loisel "en matière de mariage, trompe qui peut". On ne peut
pas dire que ce soit un idéal de société démocratique ou de vie conjugale !
Au delà de cette boutade, cet argument est à la fois mal fondé et inopérant sur le problème.
Mal fondé, parce que le "droit à l'oubli", s'il existait en la matière, ne pourrait résulter que de la loi. C'est elle qui
autorise la prescription des actions en justice ou des poursuites pénales ou qui interdit la poursuite de tel ou tel fait, par exemple. Or, ici, la loi ne prévoit aucun droit à l'oubli qui
s'imposerait à l'un des conjoints. Bien au contraire, elle lui permet de remettre en cause le mariage lorsqu'un fait important n'était pas connu.
Surtout, si droit à l'oubli il y a, il ne peut être sélectif. En effet, s'il ne s'appliquait qu'à certains faits passés, on en
reviendrait aux qualités essentielles : on doit oublier ce qui n'est pas essentiel, avec les difficultés de définition que l'on connait. Or, peut-on envisager que l'épouse qui découvre que son
conjoint a été un tueur en série plusieurs années avant son mariage se voie opposer le droit à l'oubli ? Assurément pas. Il n'y a donc pas de droit à l'oubli supérieur aux qualités essentielles :
c'est uniquement ce qui n'est pas essentiel, qui doit être oublié. C'est le sens et la lettre de la loi.
Il en va de même du "droit au mensonge par omission". Entendre édicter un tel droit en matière contractuelle est plus que
surprenant de la part d'un juriste, surtout d'un tel rang, puisqu'il s'agit de la négation d'un des principes les plus fondamentaux et les mieux ancrés de notre droit (et dans la morale publique
la plus évidente !). La bonne foi, en effet, est le fondement essentiel de toute convention. Non, il n'y a pas de droit au mensonge par omission. Ce n'est pas parce qu'une omission mineure peut
être tolérée ou être insuffisamment grave pour justifier l'annulation d'un contrat qu'elle constitue un droit. Rappelons les articles 1108 et 1109 du Code civil (concernant les conventions en
général) : "Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : le consentement de la partie qui s'oblige (...)" (C. civ, art. 1108) ; "il n'y a point de
consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par le dol" (C. civ., art. 1109).
Dès lors, on en revient à la question de savoir si oui ou non, la virginité constituait une qualité essentielle : si elle l'était,
il faut en tirer les conséquences sur la validité du mariage, nul faute de consentement valable ; si elle ne l'est pas, le mariage est valide.
Et l'on aimerait bien savoir au nom de quoi et qui pourrait décider d'imposer à autrui un devoir d'oubli et son contenu à
quelqu'un qui s'engage pour la vie, pour sa vie, et qui n'en reste pas moins un citoyen libre et de plein exercice...
Seul un droit d'oublier existe - qui se distingue par le titulaire de ce droit - pour le conjoint, qui lui permet de décider que
tel aspect de la personnalité de son époux n'est pas important ou que tel fait de son passé ne lui importe pas. Mais c'est à lui seul de l'exercer librement, ni à loi, ni à quiconque
d'autre.
L'erreur de raisonnement résulte des propos même de M. le bâtonnier, qui admet - à raison ! - qu'épouser un travesti par erreur
peut justifier l'annulation. Mais le travesti n'a-t-il pas droit à l'oubli de son passé ? Répondre non n'est-il pas une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ? De même le divorcé
n'a-t-il pas droit à l'oubli ? La jurisprudence, à raison, répond par la négative (s'agissant de la validité du consentement de l'autre époux et du mariage).
L'argument est donc, lui encore, mal fondé.
Ainsi, cette argumentation juridique est, en réalité, inopérante à fonder l'illicéité du jugement contesté. Car,
indépendamment de ces "droits", il n'en reste pas moins que le seul débat véritable porte ici sur la validité du consentement de l'époux et sur l'importance qu'il accordait à la qualité
défaillante de l'épouse.
3°- Or, le Bâtonnier de Paris ne semble pas - mais peut-être certains de ses propos nous ont-ils échappés, auquel cas, il
voudra bien nous en excuser - avoir développé d'argumentation sérieuse sur la question des qualités essentielles. Il s'est contenté de dire que la virginité de l'épouse n'était pas une qualité
substantielle.
Mais, une fois de plus (voir, pour plus de détails, nos articles n° I et
n° II sur le sujet), la notion de qualité substantielle est, malgré
certains aspects objectifs, relative (elle dépend de chaque cas) et subjective (elle laisse à chacun le choix des qualités qu'il souhaite trouver chez son conjoint ; v. par
ex., Cass. 1ère Civ., 2 décembre 1997 précité). Cela est d'ailleurs inévitable et conforme à l'objet de l'institution, qui s'inscrit dans la durée. Dans la mesure où la loi ne m'interdit pas - et ne peut pas interdire
en fait - de vouloir épouser une femme ou un homme vierge, ce n'est pas à quelque groupe de pression que ce soit de le faire.
Si pour certains la virginité est une qualité essentielle de leur conjoint, ce qui peut paraitre archaïque à certains mais
respectables à d'autres, il faut en tirer les conséquences au plan juridique, comme on le ferait pour d'autres qualités essentielles.
Et ce n'est pas à Me Charrière-Bournazel ou à Mme Roure d'imposer leurs opinions en heurtant la conscience de citoyens libres
ayant les mêmes droits civiques et civils qu'eux. La loi ne proscrit pas l'archaïsme, à supposer qu'il soit ici vérifié, elle ne proscrit pas non plus "l'impuissance" puisque c'est ainsi que
l'époux trompé de Lille s'est vu élégament traiter par le Bâtonnier de Paris, parlant ès qualités.
4°- A cet égard, la qualification à l'emporte-pièce de "réaction d'impuissant", outre qu'elle ne repose sur rien, est particulièrement déplacée dans la bouche
de quelqu'un qui se présente comme un chantre incorruptible des droits de l'homme depuis qu'il a découvert Tintin à l'âge de 7 ans... Le manque de respect, voire l'injure, envers une
personne qui lui est inconnue, ne paraît pas participer du respect des droits de l'homme (à moins qu'en soient exclus les hommes "archaïques" ?).
Surtout, jeter l'anathème pour discréditer la thèse adverse, vieille technique idéologique, ne résoud rien : quand bien même ce
serait une réaction d'impuissant, M. X. était en droit de l'adopter.
En outre, à un degré un peu trop élevé pour ce genre de débat, on peut considérer également que certains puissent concevoir le
mariage comme un engagement total qui implique un don pur, entier, total et réciproque des époux. Ce n'est condamnable ni moralement, ni légalement, et cela relève de l'intimité et du choix libre
des époux.
5°- Enfin, le jugement serait intolérable car il reposerait sur une inégalité
physique et sociale entre homme et femme.
Outre le fait que la qualité de virginité peut être exigée de l'homme comme de la femme et donc être invoquée pour annuler un
mariage par l'un comme par l'autre, il est certain que la preuve en est facilitée - a priori, car la chirurgie fait aujourd'hui des merveilles - pour l'homme par rapport à la femme. Mais
est-ce une raison pour critiquer le jugement lillois et pour s'opposer à ce que la virginité puisse être considérée comme une qualité essentielle de l'épouse ? Assurément pas !
Ce n'est pas parce que l'empoisonnement ou la contrainte psychologique sont plus durs à prouver que le meurtre par arme à feu
qu'ils ne doivent pas être poursuivis et sanctionnés de la même façon ! Ce n'est pas parce qu'une des parties à un contrat serait dans l'impossibilité de le trahir que l'autre ne pourrait pas
être sanctionnée si elle le faisait !
La preuve n'est pas une condition de l'existence d'un droit (malgré le pragmatisme de certains adages latins issus d'un temps où
le droit n'était pas toujours conçu dans les mêmes termes). Elle est une modalité de sa mise en oeuvre.
Et dès lors, s'il y a eu erreur ou tromperie sur une qualité substantielle, l'annulation est encourue.
Aucune exigence de réciprocité potentielle - ce qui serait d'ailleurs aberrant - n'est exigée par la loi et ce raisonnement est
donc parfaitement contra legem. Ce n'est pas parce qu'on est une femme que l'on peut se marier déloyalement en surprenant le consentement de son conjoint. Raisonner comme le fait M. le
Bâtonnier revient à créer et à valider une pure discrimination sexuelle parfaitement illégale !
Pour conclure - provisoirement - on notera tout de même qu'il est
incompréhensible que s'exerce une telle pression et que des débats aussi fallacieux s'élèvent sans prendre en considération le choix très concret des époux, qui sont satisfaits l'un et l'autre du
jugement rendu ! Ce mariage ne concerne qu'eux, mais peu importe. Ils ne sont pour l'heure, malheureusement, que les otages d'une campagne idéologique.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 17 juin à 16:42
Très bonne synthèse. Gagne à être connu. C'est vrai qu'on a dit n'importe quoi sur le sujet. C'est quand même invraisemblable qu'un bâtonnier mêle sa voix à ces pseudo-arguments juridiques qui n'en sont pas. Bonjour l'idéologie, elle a encore de beaux jours devant elle. Christian B.