Dans l’atelier, l’intimité du créateur

Publié le 09 juin 2016 par Le Collectionneur Moderne @LeCollecModerne

Exposition Dans l’atelier
L’intimité du créateur

Du 05/04 au 17/07
Le Petit Palais nous entraîne dans l’univers des artistes, photographiés hier et aujourd’hui dans leurs ateliers. Ces clichés témoignent de la personnalité du créateur, de son environnement et parfois de son inspiration. Objets de fantasmes et de mystères, les ateliers se dévoilent à travers 400 œuvres, du daguerréotype à l’impression jet d’encre.

Marie Durocher et Frank Puaux

Informations pratiques
Le Petit Palais, Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Horaires : tlj de 10h à 18h sauf le lundi
Nocturnes : le vendredi jusqu’à 21h
Tarifs : 10€ (tarif réduit : 7€)
Page officielle de l’exposition sur petitpalais.paris.fr

André Villers, Picasso au travail, 1955, tirage gélatino-argentique / Photo © André Villers, Adagp, Paris 2016 / Coll. Bibliothèque Nationale de France © Succession Picasso

L’ATELIER DANS TOUS SES ÉTATS

Représenter la personnalité de l’artiste à travers son environnement et sa méthode de travail ? C’est un objectif qui a obsédé de nombreux documentaristes au XXème siècle et un défi que poursuit aujourd’hui Le Collectionneur Moderne dans sa galerie en ligne.

C’est également la problématique de l’exposition « Dans l’atelier » : le visiteur y découvre un large panorama des différentes manières de révéler l’âme du créateur à travers sa pratique et son lieu de travail. Les clichés exposés nous ouvrent les portes de la tour d’ivoire et nous la présentent successivement avec ou sans son occupant, à travers des vues d’ensemble ou des détails éloquents.

Gautier Deblonde, L’Atelier de Jeff Koons à New York, 2005, tirage jet d’encre
Courtesy the artist and galerie Cedric Bacqueville, Lille

L’artiste n’a pas besoin d’être présent dans le champ : son atelier en dit déjà long sur lui. De même que l’agencement d’un appartement révèle les goûts de son occupant, le studio reflète l’imaginaire de l’artiste à travers son aménagement et ses quelques objets. C’est cette approche que privilégie Gautier Deblonde, qui représente les ateliers sans leur propriétaire. Dans sa série Atelier publiée en 2014 aux éditions SteidlDangin, ce photographe français a compilé 99 vues panoramiques savamment composées.

Ces ateliers contemporains se démarquent sensiblement du stéréotype de la bohème, encore très présent dans l’imaginaire collectif et qui est conforté dans l’exposition par de nombreuses vues d’ateliers du XIXème siècle.

Non, le désordre foisonnant n’est pas une caractéristique indispensable des ateliers d’artistes, mais on le retrouve chez certains artistes aux personnalités complexes. Comment cerner la personnalité de Francis Bacon sans avoir jamais vu le désordre effarant qui règne dans son univers de création ? Un capharnaüm génial et sidérant qui nous est révélé ici à travers diverses photographies et une maquette de Charles Matton.

Charles Matton, L’Atelier de Francis Bacon, 1986, maquette / Collection particulière. Photo Charles Matton / Adagp, Paris 2016

D’autres photographies proposent une immersion plus détaillée, avec une attention portée sur les objets qui le composent. À travers deux pendants photographiques de grand format représentant les deux faces d’une servante, Catherine Leutenegger parvient à magnifier un objet modeste et en faire un emblème de la création.

CAPTURER LE GESTE, SAISIR L’INSPIRATION

Mais le but poursuivi par tout documentariste photographiant un atelier est bien sûr de représenter la flamme fugace de l’inspiration : montrer la naissance de la création dans le but de nous révéler ce qui se cache derrière une œuvre.

Hans Namuth est connu pour avoir filmé les principaux acteurs de l’expressionnisme abstrait. Ses réalisations ont parfois été délicates à mettre en œuvre, mais sa mise en scène de l’action painting de Jackson Pollock, filmé à travers une vitre, a incontestablement contribué à la célébrité du peintre américain.

Ce n’est pas un simple espace. Ce n’est pas une simple pièce. Dans l’atelier quelque chose se produit. La création naît. C’est l’endroit où l’artiste devient artiste. C’est l’endroit où la magie opère.

Gautier Deblonde

Les mises en scène ne sont pas toujours aussi astucieuses et il arrive même qu’elles soient trompeuses. C’est notamment le cas lorsque Sacha Guitry filme Auguste Rodin en 1915. On y découvre le maître taillant le marbre… alors qu’il est aujourd’hui connu que l’artiste ne sculptait pas lui même, mais confiait ce travail à ses praticiens.

Ces témoignages compromettent donc parfois la spontanéité, voire l’authenticité, de la création. Mais l’attention que leur portent les artistes met en lumière l’importance de cet exercice dans la construction de leur “mythologie”. De nombreux extraits de magazine illustrent également l’influence croissante des médias dans l’évolution des carrières artistiques.

L’ARTISTE DANS SON MICROCOSME

Faute de pouvoir saisir l’inspiration sur le vif, les photographes s’attachent plus souvent à dresser un portrait de l’artiste. Exercice classique s’il en est. Et l’œuvre  documentaire se transforme parfois imperceptiblement en œuvre d’art, une mise en abyme de la création.

Qui est alors l’artiste ? Qui est le modèle ? Certains artistes ont un tel aura qu’ils semblent maîtriser leur image en toute circonstance – citons l’exemple de Dali qui ne peut pas s’empêcher de coproduire chacun de ce ses portraits – mais des photographes de talents parviennent à faire jaillir ce que l’artiste lui-même ne saurait nous dévoiler, par pudeur ou par indifférence.

Ce portrait du peintre Avigdor Arikha par Martine Franck juxtapose l’œuvre et la réalité en confrontant le profil de l’artiste à son autoportrait, dans une habile composition de toiles et de châssis.

Martine Franck, Le peintre Avigdor Arikha, Paris, 1976, épreuve gélatino-argentique © Bertrand Prévost – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP / Martine Franck / Magnum Photos

C’est également l’histoire de la photographie et son rapport aux Beaux Arts que nous raconte Dans l’atelier, à travers l’enthousiasme ou l’incompréhension des artistes représentés. Il arrive qu’ils la pratiquent eux-mêmes et se mettent en scène, avec la fraîcheur d’un néophyte ou le talent d’un touche-à-tout. Cet autoportrait du sculpteur Constantin Brancusi en est un touchant exemple.

Constantin Brancusi, Autoportrait dans l’atelier : les Colonnes sans fin de I à IV, Le Poisson (1930), Leda (1926), en surimpression avec le tronc de marronnier aux rejets, vers 1934 / Surimpression, épreuve gélatino-argentique © Adagp, Paris © Georges Meguerditchian – Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP / Legs Constantin Brancusi, 1957

En somme, Dans l’atelier est une plaisante déambulation qui soulève des questions plus profondes qu’il n’y paraît. On se réjouit de parcourir ces 400 photographies singulières, peu exposées et jamais rassemblées.

Nous regretterons tout au plus que cette exposition ne tienne pas toutes les promesses de son intitulé « d’Ingres à Jeff Koons » en explorant les dernières évolutions des ateliers au XXIème siècle. Leur métamorphose, sous forme d’espaces de collaboration ou de laboratoires de dématérialisation, aurait été un prolongement pertinent pour ce propos.

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