Au moins une fois par an depuis 1995, l'Espace Paul Rebeyrolle consacre une partie de ses salles à une exposition temporaire.
De Riopelle à Ernest Pignon-Ernest, en passant par Macréau, Léger, César, Pouget, Dubuffet, Miró, Picasso, Chagall et bien d'autres encore, le visiteur a pu retrouver des artistes, renommés ou plus discrets mais toujours importants, des parcours singuliers.
En 2016, ce sont des oeuvres d'Antoni Clavé (1913-2005) l'un des grands artistes contemporains de Rebeyrolle, qui viennent s'installer au coeur de l'Espace.
L'exposition couvre une période allant des années 70 à 90, elle se concentre sur les collages et assemblages, les trompe-l'oeil et comprend l'installation de quelques sculptures importantes.
Les oeuvres présentées ont été spécialement réunies pour cette exposition grâce à la précieuse collaboration des Archives Antoni Clavé.
AUDE HENDGEN - Commissaire de l'exposition
L'invitation est toutefois rapidement apparue comme une évidence : Rebeyrolle, pour qui la peinture passe nécessairement par un plaisir charnel ; Clavé, incorrigible virtuose, assembleur et caresseur de matière. Il ne s'agit pas d'une confrontation mais bien au contraire d'un dialogue entre deux hommes libres.
Les volumes exceptionnels de l'Espace Rebeyrolle ont permis une sélection de grands formats rarement exposés, certains n'ayant pas été montrés depuis la Biennale de Venise de 1984 pour laquelle l'Espagne avait consacré son pavillon entier à Clavé. L'exposition propose également une sélection d'oeuvres sculptées, originaux en bois et fontes en bronze.
Le terme est revendiqué par Clavé lui-même. " Oui c'est un terme formidable... Artisan c'est magnifique, très noble [...] ".
Le Trompe-l'oeil, cette astucieuse escroquerie de la perception
Les papiers froissés en trompe-l'oeil de Clavé fascinent. Bien sûr il faut songer à sa formation première chez Tolosa, où il apprend le métier de peintre en bâtiment. Le métier peut sembler humble et sans rapport avec celui d'artiste peintre. Pourtant c'est bien là-bas que le tout jeune Clavé a acquis les savoir-faire nécessaires pour représenter le faux bois, le faux marbre, les secrets de fabrication des trompe-l'oeil du quotidien, auquel nul ne prête attention. Cette formation est essentielle mais Clavé s'en est détourné lorsqu'il a
Les collages-assemblages de Clavé sont, nous l'avons vu, dès la fin des années 1970 liés aux trompe-l'oeil. La problématique des collages a été théorisée par Aragon à propos de Braque et de Picasso et de leur " défi à la peinture " . Clavé s'inscrit comme leur héritier même s'il lui a fallu faire les mêmes découvertes en autodidacte. Précisons que chez Clavé, les papiers collés sont d'abord des papiers déchirés car ils ne sont jamais " beaux ", ni nettement découpés et assemblés. Au contraire, ces morceaux de papiers sont déchirés par la main de l'artiste, laissant à l'orientation des bras et de la force du geste la finalité formelle des lambeaux obtenus. Ces déchirures n'ont rien d'un " geste en négatif ", lacération permettant la soustraction de matière comme pour les affiches lacérées de Raymond Hains. Les papiers déchirés de Clavé suivent au contraire la voie des papiers découpés de Matisse : ils ajoutent formes, couleurs et matières. [...]
Clavé est passé Maître dans l'art de l'assemblage. Il affectionne l'accumulation de matières variées et la transformation des objets délaissés. Il compose ses sculptures à partir de rien, d'objets de rebut, méprisés, négligeables et négligés : cageots pour transporter fruits ou légumes, morceaux de bois d'objets orphelins, planches inutilisées, roues abandonnées... Et s'il on est tenté de rapprocher sa démarche de celle de l'Arte Povera italien de la fin des années 1960, il faut au contraire garder en tête que Clavé n'appartient à aucun groupe, ne revendique aucun art politique. Ses sculptures ne défient ni l'industrie culturelle de masse ni la société de consommation. Clavé est un poète, il joue avec les matériaux pauvres, les détourne pour mieux les réhabiliter. Il destine en effet ses humbles sculptures originales de bric et de broc à être fondues en bronze. Le passage du bois au bronze confère à ses oeuvres une certaine solennité et invite le spectateur à porter un regard nouveau sur des objets ordinaires. Orgueil de démiurge ? La fonte transforme ces fragiles rescapés de la société de consommation en OEuvres d'art et les sauve de l'éphémère.
Pourtant Clavé s'est lui aussi fait prendre à son propre piège. Il a connu les guerres et l'exil. Il est de la génération qui conserve tout. A compter du milieu des années 1960 il vit dans le midi de la France et jouit d'un " espace vital " nettement plus grand que celui qu'il avait dans ses ateliers parisiens successifs. Lorsqu'il travaille à ses sculptures-assemblages, il peut récupérer et stocker ses originaux faits de bois, ficelle, clous, plâtre, etc. Alors, à son insu s'opère une alchimie que seuls les poètes et le temps peuvent générer : lorsque beaucoup plus tard, au hasard de la curiosité ou en préparant une exposition, Clavé redécouvre ces originaux, nul besoin de moule, d'empreinte ou encore de fonte. Ils sont devenus Sculpture et participent légitimement des sélections d'oeuvres présentées au public.
Ouvert tous les jours : 10 h à 19 h jusqu'au 31 août |10 h à 18 h à partir du 1er septembre