Au pays de l’hypermarché Auchan, c’est la fête toute
l’année. On passe, sans avoir le temps de respirer, de Noël au ramadan ou à la
Foire de printemps aux vins. Pour Annie Ernaux, l’hypermarché est une occasion
de lever le nez des pages d’écriture. Pour mieux y revenir quand, pendant une
année, elle tient le journal des moments passés chez Auchan, à Cergy. « Un relevé libre d’observations, de
sensations, pour tenter de saisir quelque chose de la vie qui se déroule là. »
Annie Ernaux ne s’est pas mise à considérer les grandes
surfaces comme un espace littéraire le 8 novembre 2012, date du début de ses
notes. Elle en a parlé dans Journal du
dehors, en 1993, et dans La vie
extérieure, en 2000. Le monde sensible n’a jamais été limité, pour elle,
aux relations entre intellectuels. Et ce terrain-là est particulièrement riche,
parce qu’il en dit long sur notre société.
Elle relève tout ce qu’elle voit, hésitant à en tirer des
leçons mais ne cachant rien des questions qui l’habitent. La population est
différente selon les jours et les heures. Les mélanges ethniques sont nombreux.
Les caisses automatiques remplacent celles où l’on tente de mesurer, avant de
choisir une queue plutôt qu’une autre, l’efficacité de la caissière. Le super
discount propose des produits moins coûteux, mais en grande quantité et d’une
qualité douteuse. Le jaune des panneaux des prix d’accroche lui semble de plus
en plus agressif. Il est interdit de lire au rayon librairie…
Pendant ce temps, au Bangladesh, une usine textile brûle :
112 morts. Puis un immeuble s’effondre, qui abritait des ateliers de
confection : 1127 morts. Dans les deux cas, les ouvrières, puisqu’il
s’agit surtout de femmes, travaillaient notamment pour Auchan. « Evidemment, hormis des larmes de
crocodile, il ne faut pas compter sur nous qui profitons allègrement de cette
main-d’œuvre esclave pour changer quoi que ce soit. »
Regard au plus près, regard qui prend de la
hauteur : Annie Ernaux a tout vu, tout compris de cet univers-là dans Regarde les lumières mon amour.