Stubby est un héros de guerre. C’est aussi un bull terrier mêlé de terrier de Boston, tout petit, extrêmement énergique, affectueux et intelligent. Né en 1916 ou 1917, le début de sa vie est un mystère – mais il se trouve aujourd’hui naturalisé et soigneusement conservé au Smithsonian (le National Museum of American History). En quel honneur? Il est le tout premier animal promu au rang de sergent de l’armée américaine et le chien le plus décoré de la première guerre mondiale (voire de tous les temps) avec non moins de treize médailles. Dire que sa vie est digne d’un film hollywoodien serait un euphémisme – un projet de film d’animation intitulé Sgt. Stubby: An American Hero devrait voir le jour au printemps 2018.
Puis il est adorable, ok ? C’est une petite saucisse sur pattes qui s’appelle Sergeant Stubby. Plus adorable tu meurs. Un point c’est tout.
L’extraordinaire aventure de Stubby commence le jour où il rencontre son meilleur pote & maître, en juillet 1917. Le chien était en train de se la couler douce sur le terrain de l’université de Yale (New Haven, Connecticut) alors que les membres du 102ème régiment d’infanterie s’y préparaient à rejoindre le front – narmol. Il est repéré par un certain John Robert Conroy, 25 ans, soldat, qui le baptise d’un nom plein d’allusions à son côté trapu et court sur pattes et se prend bien vite d’affection pour la petite boule de poils. Il faut un rien de temps pour que le régiment tout entier l’adopte et en fasse sa mascotte, au point où Stubby se transforme, petit à petit, en vrai petit soldat: le voilà qui répond au clairon, se pointe à tous les entraînements, et, tant qu’à faire, apprend à faire une forme de salut militaire spécialement modifié pour lui. Voui voui. Carrément. Et il est tellement adorable que le commandement l’autorise à rester en compagnie des troupes pour aider à leur moral alors que les animaux étaient techniquement interdits.
Stubby et son maître. A-do-ra-ble.
Conséquence? Stubby devient si essentiel au régiment (et surtout à John Robert Conroy) que, au jour du départ en bateau pour l’Europe en guerre, voilà le maître qui planque le chien sous son manteau pour le faire embarquer en douce dans le SS Minnesota. Au beau milieu du voyage, il est découvert et présenté aux marins qui eux aussi tombent bien entendu sous son charme (un machiniste lui fabrique même ses propres petites plaques militaires) – avant d’être planqué à nouveau pour le débarquement. Et là, une question se pose: c’était quoi, le plan de John Robert Conroy, au juste? Cacher le chien jusqu’à la fin de ses jours? Pendant la guerre? Dans les tranchées? Bref – dans tous les cas, c’était voué à l’échec. Le supérieur hiérarchique de Conroy découvre le pot-aux-roses – il s’agit du colonel John Henry Parker, connu pour sa mauvaise humeur légendaire. Conroy voit ses dernières heures arriver, certain de se faire démonter… Stubby, définitivement vachement intelligent, exécute à propos son meilleur salut militaire de petit chien.
J’aime à penser que la seule réaction de Parker a été un long « Awwwwwww ». Dans tous les cas, puisque être un chien mignon ouvre toutes les portes dans ce bas monde, Stubby a eu le droit de rester avec son maître – le régiment transportant avec lui une autorisation spéciale les autorisant à se déplacer avec leur « mascotte » jusqu’au front français.
Preuve que la mine de chien battu, ça marche. Mais genre vraiment.
Mais hé, c’est pas en traînant avec son maître et en jouant à la baballe en faisant mine d’exécuter un salut militaire au moment opportun qu’on gagne des médailles. Non mais. N’essayez pas, si vous êtes dans l’armée – je vous jure, vous irez pas très loin. Stubby s’est donné de la peine. Beaucoup de peine.
Le régiment atteint le front au 5 février 1918. Si, en quelque temps, Stubby prend l’habitude du vacarme constant, il n’en est pas immunisé aux affres de la guerre pour autant. Très vite après son arrivée, il est confronté au gaz moutarde au Chemin-des-Dames et rapatrié vers l’hôpital où, du fait de sa popularité au sein de son régiment et de sa renommée grandissante, il est soigné avec grands égards. La mésaventure le laisse avec une connaissance très précise de l’odeur de ce gaz et de ses conséquences – une association qu’il ne va pas manquer d’utiliser de la meilleure des manières une fois revenu sur le front. Un matin, alors que toutes les troupes étaient endormies: nouvelle attaque au gaz. Stubby, la reconnaissant avant le moindre effet concret, aurait couru en aboyant et en mordant allègrement pour réveiller tout le monde et donner l’alarme – leur épargnant bien des blessures. Premier acte d’héroïsme du futur sergent: il devint first class le 5 avril, son premier rang militaire. Des actions rapportées par le Times – s’il vous plaît.
Il est également probable que beaucoup doivent leur vie à Stubby. En effet – pendant les 210 jours de combat et 17 batailles auxquels il aurait participé (y compris la Marne et Château-Thierry), le chien se serait fait une spécialité de repérer les blessés américains (puisqu’il reconnaissait ou la langue anglaise ou leurs uniformes) et d’aboyer jusqu’à ce que les médecins repèrent leur position et les aide. Ceux qui pouvaient se déplacer? Il les guidait jusqu’au camp. Ceux qui étaient condamnés? Il restait à leurs côtés pour les réconforter. On suppose également que Stubby a été utilisé pour faire circuler des messages dans les tranchées – et certains mentionnent qu’il signalait par des aboiements ou des mouvements de la queue (selon le degré de discrétion nécessaire) l’arrivée imminente d’obus ou de soldats ennemis. Tout un tas de nouveaux actes d’héroïsme pour le futur (petit) (touuuut petit) sergent.
Mais sa légendaire promotion, il la doit à un évènement précis. Un jour, Stubby serait tombé nez à nez avec un homme inconnu, occuper à dessiner une carte des tranchées alliées. Cet homme aurait tenté de s’adresser à lui – et Stubby, en entendant la langue allemande, aurait commencé à aboyer. L’homme tentant de s’enfuir, le chien se serait rué sur lui, l’aurait mordu à la jambe puis tiré par le pantalon, le gardant en place jusqu’à l’arrivée des soldats américains: une capture d’espion à l’occasion de laquelle le commandant du 102ème régiment lui aurait attribué le rang de sergent. Si la nature officielle de cette attribution a été longtemps discutée, le Smithsonian semble avoir tranché en le désignant officiellement comme tel. L’histoire ne dit pas dans quel état fut retrouvé le pantalon du pauvre type – ni ce que le fait d’avoir été stoppé net par un tout petit chien eut comme conséquence sur sa fierté.
Aussi, il prenait la pose comme un chef.
Mais Stubby fut aussi un très important soutient psychologique pendant la guerre. Ce rôle, il l’adopta paradoxalement quand il fut blessé par un éclat de grenade et transporté jusqu’à l’hôpital de la croix rouge pour chirurgie – avec les hommes, puisque le chien était devenu un tel symbole que ne pas lui offrir les meilleurs soins disponibles pour un soldat aurait été absurde. Aussitôt suffisamment remis pour le laisser se promener dans les bâtiments, le choix fut fait de le promener dans tout l’hôpital pour redonner le moral aux autres blessés. Il faut aussi mentionner que, après la bataille de Château-Thierry, des femmes du voisinage lui auraient confectionné un petit manteau en peau, super stylé, sur lequel épingler ses médailles de bravoure. Le chien, célébrité de réputation, fut dès lors reconnaissable d’un seul coup d’oeil. Ou ça, c’est juste parce que son nom était écrit sur son manteau. C’est comme les gourmettes – ça aide.
De retour aux Etats-Unis, sa réputation l’avait bien entendu précédé dans les journaux de guerre – non seulement Stubby fut invité à mener plusieurs défilés et parades d’anciens combattants, mais il rencontra aussi Woodrow Wilson, Calvin Coolidge et Warren G. Harding histoire de leur serrer la patte. C’est également à cette époque qu’il fut nommé membre à vie de l’American Legion, du YMCA, de la Croix-Rouge – et en 1921 il reçut une médaille d’or pour son service, attribuée par le général John Pershing pour la Humane Education Society. Ses autres récompenses comptent la médaille française pour la bataille de Verdun, la médaille de la bataille de Château-Thierry, la médaille des vétérans de New Haven, ou encore la médaille commémorative de la guerre de 14-18. Véritable petite icône, il apparut aussi dans de nombreux variety show – sans que personne ne daigne lui demander s’il aurait préféré jouer à la baballe.
Bien sûr, des doutes subsistent autour de l’histoire de Stubby. Quelle part appartient à la réalité? Quelle part appartient à la propagande? Les journaux de 14-18 n’étaient pas exactement connus pour leur neutralité – et avaient tout intérêt à remonter le moral des troupes en inventant des mythologies du genre. Même après la guerre, ce mythe avait tout intérêt à survivre et à être constamment rappelé. 14-18 avait introduit les hommes au carnage du conflit à grande échelle, des armes nouvelles, et des nombres de morts jusque là inouïs. Peut-être bien que Stubby ne captura jamais le moindre soldat allemand – mais l’important était alors d’y croire, histoire d’égayer un petit peu le climat de l’époque.
Quoiqu’il en soit, après tout cela, Stubby fit ce que tous les chiens aiment le plus au monde: il resta avec son maître. Lorsque ce dernier rejoignit la Georgetown University pour étudier le droit, il l’accompagna – devenant quasi-immédiatement la nouvelle mascotte des Georgetown Hoyas. Il mourut en 1926, dans son sommeil et dans les bras de celui qui l’avait recueilli à Yale – après l’avoir allègrement dépassé dans la hiérarchie militaire, comme Conroy ne fut jamais que colonel. Il eut même droit à une notice nécrologique dans le New York Times, en vrai petit héros.
Sans rancune – et meilleurs copains quand même.
Webographie
- Sgt. Stubby: An American Hero a déjà son site internet. Si si. Moi ça me met en joie. Il est juste là.
- BBC School nous présente un petit dossier en anglais sur Stubby, avec tout un tas de photos presque trop adorables pour être vraies. C’est juste là !
- Encore (toujours) en anglais: vous pouvez jeter un oeil à la page qui est consacré au Sergeant Stubby sur le site du Smithsonian, juste ici!
- Sa notice nécrologique est disponible par là, aussi. Ouais, c’est grave la joie cette webographie.
- Y’a d’autres photos mignonnes ici, aussi.