Impacts ALM de la banalisation du Livret A

Publié le 17 juin 2008 par Sia Conseil

Afin de se conformer aux exigences de Bruxelles, le Ministère de l’Economie et des Finances doit libéraliser la distribution du Livret A. Ce dernier est, pour le moment, uniquement proposé par la Banque Postale et les

Caisses d’Epargne,  le Crédit Mutuel proposant son frère jumeau le Livret Bleu. La distribution de ce produit d’épargne doit s’étendre aux autres institutions financières d’ici janvier 2009.

Cette réforme sera néanmoins assortie de conditions nouvelles pour les banques disposant déjà du monopole ainsi que pour les banques nouvellement distributrices : l’Etat abaisserait le taux de rémunération et de centralisation du Livret A (0,6% contre 1,12% en moyenne actuellement et 70% contre 100%) et augmenterait le taux de centralisation pour le Livret de Développement Durable (70% contre 6,5 % auparavant)[1].

Ces aménagements auront un impact sur 3 composantes de la gestion ALM : la position en liquidité, le risque de taux, ainsi que le risque inflation ou le risque de taux réels. 

Un transfert de liquidités
En se basant sur des hypothèses simples telles qu’un taux de transfert des encours de Livret A égal à 30 % et un volume d’épargne constant, nous devrions constater un transfert de liquidités important entre les banques ayant le monopole et les banques nouvellement distributrices.

En termes de liquidités, la réforme bénéficiera plutôt aux banques actuellement distributrices du Livret A (Caisses d’Epargne, Banque Postale et Crédit Mutuel). La décentralisation partielle du livret A leur permettra de gagner 30 milliards d’euros de ressources, ce qui compensera largement la perte des ressources provoquée par la centralisation du LDD (- 7 milliards d’euros). In fine, la reforme du Livret A et du Livret de Développement Durable permettrait à ces banques d’obtenir plus de 23 Milliards d’euros de ressources supplémentaires.

En revanche, la centralisation du LDD privera les banques nouvellement distributrices de 35 Milliards d’Euros de ressources. En effet, les 30 % non-centralisé des encours de Livret A qu’elles récupèreront grâce à sa libéralisation (12 milliards d’euros) ne seront pas suffisants pour compenser la perte d’encours du LDD. Au total, la réforme étant construite comme un jeu à somme nulle, ces banques perdront les 23 milliards d’euros de ressources « gagnées » par les banques du monopole.

De plus, en fonction des politiques commerciales que ces banques choisiront d’appliquer, la perte de ressources au bilan pourrait être amplifiée par les transferts qu’opèreront les clients de leurs comptes (dépôts à vue, compte à terme et compte sur livret non défiscalisé) vers leur Livret A. L’ordre de grandeur est important, 5% de transfert génèrerait 10 milliards d’euros de pertes nettes d’encours de passif.

Ainsi, du fait de ces transferts les banques devront faire face à une forte modification de leur exposition au risque de liquidité.

Une exposition accrue au risque de taux
La reforme du livret A injectera des liquidités dans les passifs des banques qui ne seront plus totalement équilibrés par les dépôts auprès de la Caisse des Dépôts. Ainsi, les banques devront faire face à l’augmentation de l’exposition de leurs passifs au taux du livret A.

Ce taux étant construit à partir des taux courts et de l’inflation, ces nouveaux encours augmenteront l’assiette de ces 2 segments de risque.

Exposition aux taux courts
Avec la réduction du taux de centralisation, l’exposition à la hausse des taux courts des banques commerciales augmentera de 12 milliards d’euros pour les banques ayant un monopole et de 6 milliards pour les banques nouvellement distributrices du Livret A.

Aujourd’hui, les ALM de ces établissements disposent d’instruments efficaces sur les marchés financiers. Les banques pourront les utiliser sans aucune difficulté pour se protéger d’une évolution adverse de l’EURIBOR 3M, une des composantes du taux du Livret A. Aujourd’hui, cependant, les banques doivent amender leur stratégie de couverture pour tenir compte de l’introduction récente de l’EONIA dans la formule du taux du livret A et pour se couvrir contre le risque de non-alignement entre ces deux taux.

Une exposition plus importante au risque d’inflation
Les banques devront également faire face à une forte augmentation de leur exposition au risque inflation. Compte tenu des encours concernés les banques chercheront des instruments pour  couvrir  la moitié des 35 milliards d’euros de liquidités injectés dans leurs passifs.

Aujourd’hui, il est cependant plus difficile de se couvrir contre le risque de l’inflation que contre le risque de taux. Il existe différentes options telles que :

  • Replacer leurs liquidités nouvelles en obligations indexées sur l’inflation (OATi, OATei, CADESi). Or, la somme des encours de ces produits en septembre 2007 représentant 250 milliards d’euros, il est probable que cet instrument ne suffira pas pour couvrir les expositions de toutes les banques.
  • Couvrir par l’activité clientèle en proposant des crédits indexés sur l’inflation, ce qui semble difficile aujourd’hui compte tenu du marché des crédits immobiliers.
  • Se tourner vers des instruments dérivés de couverture du risque, swaps ou caps mais l’utilisation de ces produits pose aujourd’hui des problèmes techniques d’adéquation au risque et de comptabilisation.

Cependant, le problème est d’autant plus important que le risque d’inflation est actuellement particulièrement élevé. En effet, depuis le début de l’année 2007, l’indice des prix à la consommation est passé de 1,25% à 3,00%. A moyen terme, la politique monétaire expansive que les grands argentiers mènent aujourd’hui pour contrer les dégâts des subprimes contribuera certainement à pérenniser une situation d’inflation élevée.

Cette réforme de l’épargne réglementée, souhaitée de longue date par les banques françaises, aura un impact très important sur la politique ALM de ces établissements.

Alors que nous sortons difficilement d’une grave crise de liquidité, les banques devront faire face à de nouveaux besoins de liquidité générés par la centralisation et les arbitrages de support opérés par les clients.

De plus, compte tenu de l’enjeu de 200 milliards d’euros d’encours des Livret A et LDD et des niveaux importants d’inflation actuels, il semble nécessaire aujourd’hui pour les banques d’étudier avec les BFI les meilleurs outils de couverture des risques liés au Livret A et avec les CAC la meilleure méthode de comptabilisation.

Sia Conseil


[1]Le texte de loi spécifie que le montant centralisé sera au moins égal à 1,25 * le montant des prêts consentis au bénéfice du logement social. Un décret précisera le taux de centralisation, attendu à 70%