Ces derniers temps, que ce soient dans des séries ou des films, je me suis systématiquement retrouvée à regarder des scènes où un homme quelconque dit à un garçon "tu prendras bien soin de ta mère" avec la merveilleuse variante "C'est maintenant toi le chef de famille".
[petit aparté pour les gens qui pourraient avoir l'idée saugrenue de me dire que "ce n'est pas un combat important et que je ne me préoccupe que de conneries". Vous allez immédiatement taper "viol" dans le moteur de recherche du blog, vous aurez de la lecture pour une semaine et vous penserez à vous excuser. Merci d'avance]
[Spoiler] Dans la série Colony les extra-terrestres sont arrivés sur Terre et ils ne sont pas sympa-sympa. Ils ont organisé une milice humaine et face à eux, s'est organisée une armée de résistance. Un pote du héros est arrêté et la femme du pote n'a que le temps de se planquer elle et son fils. Elle doit aussi calmer l'enfant qui pleure, forcément, le faire taire et pendant ce temps la milice abat sous ses yeux un homme qu'elle connaît. Arrive le héros qui a alors cette phrase sublime, face à un gosse de 5 ans en pleurs "tu prendras bien soin de ta mère". Le gamin a 5 ans, il est d'évidence incapable de ne gérer ne serait ce qu'un paquet de farine (et c'est normal, rappelez-vous il a 5 ans) mais on lui demande de s'occuper de sa mère, qui rappelons-le a fait preuve d'un grand sang-froid face à une situation plus que tendue. Je pourrais multiplier les exemples. Peu importe que le gamin ait 5 ans ou 12, peu importe qu'il soit en larmes ou pas, surgit toujours cette phrase qui nous dit clairement qu'un môme de sexe masculin sera toujours plus apte qu'une femme adulte.
Vous allez me rétorquer que c'est pour donner confiance à l'enfant et autres fadaises que les gens trouvent toujours pour excuser les situations sexistes. L'argument fonctionnerait si l'on disait aussi à une fillette de 5 ans de prendre soin de son père, ce qu'on n'a jamais vu nulle part. J'imagine encore mieux un héros se pencher à hauteur d'une petite fille de 5 ans qui a perdu sa mère et lui susurrer "c'est maintenant toi le chef de famille". Si par hasard l'enfant mâle a une sœur, même si elle est plus âgée, le même schéma se reproduit, l'enfant se voit confier la responsabilité de ces péronnelles inconscientes.
Ces phrases qu'on entend très régulièrement, sans qu'elles soient spécialement mises en avant ou aient une importance quelconque, forment un tout bien clair, une culture où les femmes sont vues comme des incapables, des mineures, des inconscientes, incapables de s'occuper d'elles mêmes et des autres. Un garçonnet est plus apte à gérer des extra-terrestres génocidaires qu'une femme adulte, rien que parce qu'il est un (futur) homme. Un futur homme sera toujours plus complet, plus courageux, plus logique, plus prompte à prendre des décisions que n'importe quelle femme. Nous intégrons insidieusement qu'un garçon vaut mieux qu'une femme dans une situation exceptionnelle ; ce qui explique sans nul doute les réactions incroyables de violence et d’imbécillité lorsque dans un film ou un jeu video le personnage principal est une femme.
Et parallèlement, très curieusement, dans ce contexte-là, c'est encore aux femmes qu'on confie le soin de s'occuper des enfants au quotidien. On pourrait se dire que vu leur incapacité chronique en toutes choses, il vaudrait beaucoup mieux confier les mômes aux hommes, mais non (pas si bête) d'un coup on leur accorde un quelconque intérêt. Oh pas une valeur non n'exagérons pas non plus ; une connaissance intuitive, un instinct, un truc donné par la nature. Comme le dit Guillaumin " Enfin, l'intuition (si spécifiquement "féminine") classe les femmes comme l'expression des mouvements d'une pure matière. D'après cette notion les femmes savent ce qu'elles savent sans raisons. Les femmes n'ont pas à comprendre, puisqu'elles savent. Et ce qu'elles savent elles y parviennent sans comprendre et sans mettre en oeuvre la raison : ce savoir est chez elles une propriété directe de la matière dont elles sont faites." C'est une façon bien pratique de nier toute compétence à celles qui sont massivement chargées (toujours des femmes) des soins aux enfants en expliquant qu'elles DOIVENT avoir cet instinct de s'en occuper mais comme il est quasiment inscrit dans leur patrimoine génétique, il n'a logiquement aucune valeur. Cela serait comme se vanter d'avoir un cœur ; nul mérite là dedans.
Les femmes doivent donc s'occuper des enfants, mais sous surveillance ; maritale, sociale, parentale, familiale, psychiatrique ou que sais-je. Ce don qu'elles ont, donné par la nature, leur jouent des tours, tour à tour trop fusionnelles ou laxistes, elles demeurent quand même des êtres profondément irrationnels qui, face à des situations d'exception (l'invasion de nos fameux extra-terrestres donc) ne sauront s'en sortir sans mâle. Ces situations sont quand même fascinantes ; on sait qu'en France par exemple les femmes assurent l'essentiel des tâches ménagères et soins aux enfants (plus il y a enfants, plus leur temps de travail augmente alors que celui du mari diminue). Ce sont des tâches qu'on leur laisse faire seules la plupart du temps, estimant que vu le peu de valeur des dites tâches et cet espèce de gène du balayage et de la couche à changer qu'elles ont, elles devraient pouvoir s'en sortir sans faire trop de conneries. Mais, dés que le mari disparaît, tout devient différent. Il convient de ne pas laisser une femme sans surveillance, oui même en 2016 ; le mâle de la famille de 5 ans devient alors un substitut du père.
Cela me rappelle cette histoire survenue la semaine dernière, où un gamin de 5 ans a réussi dans un zoo, à filer sous une glissière de sécurité et rentrer dans l'enclos d'un gorille qui a été abattu. Les deux parents ont été cloués au pilori mais spécialement la mère (femme, noire et grosse, trois excellentes raisons dans notre merveilleux monde pour lui dénier le statut d'être humain). Je suis chaque fois fascinée quand je croise un gamin de cet âge là par sa rapidité ; ca marche parfois à peine et il suffit de détourner une seconde le regard pour qu'il ait gagné l'Australie. Je regarde les femmes qui s'en occupent en me demandant très sincèrement chaque fois comment elles tiennent. Je vois mon état de ce matin - je n'ai pas assez dormi - et je me demande ce qu'il se passerait si j'avais en plus un gamin à garder. N'importe qui d'un peu de bonne foi sait qu'il est impossible de surveiller 24 heures sur 24 un môme, mais pourtant un accident est vu comme un abominable échec de l'instinct maternel, une anomalie insupportable.
L'élevage des enfants (note le mot "élevage" n'est pas un mot péjoratif, il a été développé par des sociologues comme Delphy pour distinguer l'élevage justement de l'éducation) n'a pas de valeur en tant que tel puisqu'il est censé aller de soi. Il ne nécessite pas de talent féminin (alors qu'il en nécessite un chez les hommes qui n'ont pas, eux, cette petite part génétique appelée "instinct maternel"). Il n'a donc pas de valeur et doit donc être gratuit (ou être mal payé s'il est le fruit d'un travail), sans faille et aller de soi.
Il y a donc, comme toujours, une double injonction et une double humiliation portant sur les femmes.
D'une part elles sont censées savoir s'occuper des enfants et ce à tous instants, aucun moment de répit ne leur est accordé. La pression est de toutes façons si forte qu'elles se surveillent entre elles, en s'imposant au fil des années des règles qui changent en fonction des saisons. Rien que de plus normal que de chercher à donner de la valeur à des capacités que la société dédaigne à reconnaitre mais, malheureusement comme souvent, cela passe par le dénigrement des autres mères.
De l'autre, on leur rappelle sans cesse, en particulier si elles ont un fils, qu'elles ne vaudront jamais autant que lui, qu'elles seront toujours suspectées d'être aptes à faire n'importe quoi.