Nous voilà revenus quelques années en arrière, à cet instant précis d’octobre 2010 ou, entre pourrissement et mobilisation, le rapport de force choisit son camp. La nouvelle couche de mesures punitives en guise de reforme des retraites laissait alors entrevoir des lendemains difficiles pour les futurs inactifs. Mais on peinait à mesurer l’exacte répercussion, entre l’exagération syndicale et l’exagération toute aussi maladive de la bienveillance du gouvernement d’alors envers le petit peuple.
Malgré tout, nombreux, dont je fais partie, ont alerté sur la réalité de cette réforme. Le recul de l’âge de départ à la retraite n’avait bien peu de justification en matière de temps de travail et même de production. Cette disposition avait juste une conséquence dont les politiques et financiers ont alors soigneusement omis de s’épancher : en allongeant la période de référence, compte-tenu de la situation de l’emploi, personne ne pourrait se prévaloir des trimestres requis pour avoir une retraite pleine. Ce qui correspond tout bonnement à baisser les pensions, c’est à dire de priver les salariés de cette partie de revenus déportée dans le temps pour leur vieux jours. Facile et imparable, et d’autant plus que le constat sera fait plus tard… au moment de la liquidation de ses droits à pension.
Tout a déjà été dit sur la Loi El Khomri et l’incompréhensible tentative d’inverser la hiérarchie des normes qui, comme sa consoeur pour les retraites, a une finalité cachée plutôt évidente : au-delà de l’institutionnalisation de la précarité, il s’agit simplement de faire baisser les salaires. Ni plus, ni moins, l’instauration d’un ahurissant moins-disant salarial. Il ne reste plus ensuite qu’à légiférer pour limiter/supprimer les prestations sociales et en finir avec l’héritage du Conseil National de la Résistance, et la boucle sera bouclée, avec le Parti Socialiste en fossoyeur.
Ces énormes conflits sociaux sur les retraites et sur le travail sont néanmoins différents dans leur traitement. La polémique, cette fois, vient essentiellement de l’intervention sans aucune retenue de la police, échappant vraisemblablement aux ordres, agissant via une multitude d’individus plus ou moins politisés comme une bande ouvertement lepeniste et nationaliste. Casser du gauchiste devient alors une mission à peine accessoire à laquelle les condés ont mis tout leur cœur, avec la force du droit. De l’activisme politique déguisé en maintien de l’ordre. A Lyon, des échanges musclés ont eu lieu en marge entre identitaires et manifestants «antifa» dans lesquels la police avait clairement choisi son camp… Pendant qu’on parle des violences, on ne parle évidement pas du fond.
Le traitement médiatique, les gazages en règle et les coups de matraque que j’ai personnellement subi sans justification ont eu raison de mon cœur de gauche. Il reste où il est, mais pas pour les gens qui prétendent l’incarner. Je suis devenu jusqu’au-boutiste : avec désormais l’exigence du retrait du texte, ou ma colère du politique, droite comme gauche, va se transformer en une forme de haine difficile à maîtriser. Ce ressentiment, c’est la police et ce gouvernement qui l’ont créé et amplifié, comme chez de très nombreux manifestants, juste manifestants, à milles lieux des casseurs. Mobilisation et détermination s’amplifient à chaque nouvelle violence policière. Et pourtant cette gauche, je l’ai défendue envers et contre beaucoup de monde, évoquant l’héritage auquel il fallait faire face et la faible marge de manœuvre dont disposait Hollande.
Ma carte d’électeur est à la poubelle. Elle y est bien. Elle est au niveau de notre démocratie, puisque la représentation syndicale élue des salariés peut être court-circuitée – à quoi sert de voter alors -, puisque la police frappe les objectifs des caméras, puisqu’elle fai effacer les cartes mémoires des appareils photos et molestent des enfants de 11 ans… Quand quelques agités ont saccagé le stand d’un ministère au salon de l’Agriculture, aucun CRS n’a bougé, aucun des protagonistes pourtant filmés n’a été inquiété…
Qu’on ne me dise pas que mon attitude fait le chemin d’encore pire pour 2017. Que pourrait être pire que cette loi sur-mesure pour les libéraux ? Ne nous trompons pas de cause : ce n’est pas mon attitude qui dessert la gauche, c’est celle du gouvernement qui ne respecte même pas ceux qui l’ont porté aux affaires. Il a préféré se soucier des préoccupations de MEDEF, pas de la France qui vivote sans costard à moins de 2000 euros par mois, et qui perdra bien plus qu’une chemise selon le bon plaisir des employeurs.
Pour l’instant, 2017 est le cadet de mes soucis. Je dois d’abord me préserver car je risque davantage un crane défoncé ou/et une garde à vue pour me trouver au mauvais endroit au mauvais moment. On pensera aux élections quand cette loi sera morte et enterrée.
Tous en grève et à Paris le 14 juin pour demander le retrait de cette loi injuste.