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L'histrion et la grève

Publié le 08 juin 2016 par Jean-Emmanuel Ducoin
Quand François Hollande ampute une citation de Maurice Thorez... C’est vilain, de jouer les histrions. Surtout pour le chef d’État d’un pays comme la France, si scrupuleux avec son passé et le référencement quasi sacré des paroles ancrées dans les souvenirs collectifs. Mal en a pris à François Hollande de piocher dans un lexique pour lui inconnu, emprunté à une autre époque et à une authentique gauche. «Il faut savoir arrêter une grève», déclare donc le président dans une interview publiée par la Voix du Nord. La formule, devenue citation au fil du temps, est célèbre. À condition de ne pas la tronquer de sa partie essentielle! Loin de nous l’idée de réhabiliter dans son intégrité le talent oratoire du communiste Maurice Thorez –ce dernier n’en a pas besoin–, mais chacun admettra volontiers que l’hôte du Palais n’est plus à une souillure près, comme si s’exprimait en lui un amoncellement de poches à rancune et de comptes à régler avec sa propre histoire. Soyons précis. En juin 1936, en plein Front populaire, Maurice Thorez déclarait, peu après la signature des accords de Matignon: «Il faut savoir arrêter une grève dès que satisfaction a été obtenue.» N’est-ce pas le propre des grèves que de parvenir à la satisfaction des revendications, et de s’en réjouir si tel est le cas? Le président devrait savoir qu’on ne triche pas avec certaines phrases, surtout en plein conflit social majeur. Sauf à exprimer son mépris envers le peuple. Or un peuple, c’est une histoire longue, ou plus exactement l’unité de cette histoire.
 La réplique n’a pas tardé. Après trois mois de mobilisations contre la loi travail, et alors que le gouvernement ne cesse d’évoquer «un essoufflement» du mouvement, les grèves ont été reconduites dans tous les grands secteurs, hier, et elles s’étendent même peu à peu au privé (agroalimentaire, commerce, etc.), avec, en ligne de mire, la grande journée du 14 juin. Les votations citoyennes organisées par les cheminots sont un succès de participation et d’appropriation collective des réelles exigences. Bref, le climat de contestation sociale essaime. Conclusion? Ce n’est pas à un chef de l’État de décréter la fin d’une grève, mais aux salariés concernés. Et la plupart du temps, oui, après «que satisfaction a été obtenue» [EDITORIAL publié dans l'Humanité du 8 juin 2016.]

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