Maurice Pons, qui était né en 1927, vient de mourir, annonçait tout à l'heure un tweet des Editions Christian Bourgois. Il n'avait jamais été placé en haut de l'affiche, ni des listes de best-sellers. Mais des livres comme Les saisons ou Virginales ont enchanté leurs lecteurs. Et ont toutes les chances de durer, car ils sont de ces ouvrages dont les amoureux font une promotion discrète, si bien que, de cercle en cercle, Maurice Pons ne cesse de gagner un nouveau public.
En 1993, il avait publié des Souvenirs littéraires et j'avais profité de l'occasion pour écrire sur lui, et sur ce livre, un article qui aurait mérité d'être plus consistant. Le voici.
On pense que Maurice Pons est un écrivain qui passe avec
nonchalance sur l’horizon de la littérature, donnant de temps à autre, le plus
rarement possible, un texte, voire même un recueil de nouvelles, soucieux
davantage de faire republier les livres déjà écrits que d’en donner de nouveaux,
donc économe de l’attention des lecteurs attentifs, ceux qui ont pris soin de
le suivre depuis ses débuts en… 1951 ! Cela faisait quand même, en trente
ans, treize livres, mais souvent brefs, si brefs que le premier – Métrobate – ne comptait, dans la
première version présentée à Julliard, que soixante-deux pages dactylographiées
déjà très étirées. L’éditeur était séduit par le manuscrit mais exigeait un
volume double pour le publier. Déjà Maurice Pons était, comme il le sera encore
plusieurs fois ensuite, voué aux travaux forcés de l’écriture.
Les circonstances seront pour beaucoup dans sa production. Mais
des circonstances dont on ne peut dire qu’il se contente de les subir. Quand, signataire
du manifeste des 121 pendant la guerre d’Algérie (il s’affiche ainsi parmi ceux
qui revendiquent pour les Algériens le droit à l’insoumission), il veut
participer à un numéro spécial des Lettres
nouvelles dont tous les textes sont écrits par des auteurs appartenant à
ces 121 honnis, il rédige rapidement une nouvelle – « La Vallée », qu’on
retrouve ici – qui deviendra plus tard son roman le plus célèbre, Les saisons.
Non, décidément, sous ses dehors paresseux, Maurice Pons n’est
pas celui qu’on pense. Il n’est même pas, comme on a voulu le faire croire, le
véritable auteur des mémoires de Simone Signoret, La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Il a failli l’être, une
commande lui avait même été passée pour qu’il fasse parler la grande dame et se
charge ensuite de la transformation de l’oral en écrit. Mais la métamorphose s’est
mal passée, le dactylogramme des entretiens n’a pas pu devenir un livre… et c’est
Simone Signoret elle-même qui a tout repris depuis le début, écrivant vraiment
pour faire l’ouvrage que l’on sait.
Discret, Maurice Pons a quand même été ainsi à l’origine d’un
énorme succès, de la même manière qu’il permit à François Truffaut de tourner
son premier film, un court métrage, en lui donnant le sujet des Mistons – une nouvelle de Virginales. Il a aussi fini par être une
des chevilles ouvrières de l’édition, en Pléiade, de l’œuvre de Jonathan Swift,
dont son père, spécialiste, ne put assurer la mise au point jusqu’au bout.
Tout cela ne serait qu’anecdotes, de l’ordre d’une rencontre
liminaire avec Jules Romains, si on n’apercevait, à travers des Souvenirs littéraires très écrits, une
parfaite superposition de la vie et du travail, une préoccupation de chaque instant
– et même dans les instants qui semblent les plus vides – tournée vers la
production littéraire.
Le dessous des cartes mérite parfois d’être connu. Certes, les
lecteurs de Maurice Pons apprécieront davantage que les autres ces confidences
dont ils percevront tout le sel. Mais les autres peuvent entrer, par la porte
de derrière, dans un monde qui leur promet bien d’autres réjouissances. Car
comment lire « La Vallée » sans avoir envie de passer aux Saisons ? Et se pourrait-il qu’on
soit à ce point insensible aux aventures d’un titre, Rosa, pour ne pas prendre ensuite la peine d’aller voir du côté de Chronique fidèle des événements survenus au
siècle dernier dans la principauté de Wasquelham comprenant des révélations sur
l’étrange pouvoir d’une certaine Rosa qui faisait à son insu le bonheur des
plus malheureux des hommes… ouf ! Autant dire que Maurice Pons n’a
jamais eu le sens du marketing littéraire et qu’il s’est contenté de mener
tranquillement, au rythme qui lui paraissait adéquat, une œuvre dont les
amateurs sont quand même de plus en plus nombreux, grâce à ceux qui, fascinés, transmettent
leur admiration à d’autres et élargissent ainsi le cercle du partage heureux.
Les Souvenirs
littéraires de Maurice Pons ne sont pas, comme d’autres ouvrages du même
genre, un document sur les mœurs éditoriales de notre temps. C’est beaucoup
mieux : la voix complice d’un authentique écrivain.