Avant Seine 2016 : qui l’eût crue ?

Publié le 07 juin 2016 par Sylvainrakotoarison

" Je pense que maintenant, l'expression "Île-de-France" prend tout son sens. " (un tweet du 3 juin 2016 à 15 heures 44).

Malgré les dégâts, certains twitters ont gardé le sens de l'humour. Un autre a lancé le 1 er juin 2016 à 18 heures 02 : " 1er mai 2016, Anne Hidalgo [la maire de Paris] promet qu'on pourra bientôt se baigner dans la Seine. 1er juin, ça : coïncidence ? ". Le "ça", c'était une photo des voies sur berge envahies par les eaux.
Une crue en juin, c'est assez rare. Quasi-improbable. Exercice prémonitoire ? Le 7 mars 2016, de très nombreux acteurs de l'agglomération parisienne avaient participé à une simulation grandeur nature d'un débordement de la Seine. L'opération appelée "EU Sequana 2016" avait impliqué des communes (Paris, Melun, etc.), des grandes entreprises (SNCF, RATP, Orange, Axa, etc.), des services de l'État (pompiers, etc.) et même des partenaires européens (des Belges, des Espagnols, des Italiens et des Tchèques). Michel Cadot, le préfet de police de Paris, avait alors insisté : " Il faut que l'opinion prendre en compte ce risque de crue centennale, qu'il intervienne dans cinq ou dans dix ans. " ("Les Échos" du 2 mars 2016).

À partir des crues précédentes, des cartographies ont été réalisées pour prévoir les zones à risque au centre de Paris, en fonction de la gravité de la crue.

La dernière crue centennale de la Seine remonte à janvier 1910. Cela montre à quel point, statistiquement, la prochaine devrait être imminente. Le 28 janvier 1910, la Seine avait atteint le niveau maximal de 8,62 mètres sur l'échelle hydrométrique du pont d'Austerlitz, à Paris.

À l'époque, ce fut une catastrophe pour tout le bassin parisien. Le Président de la République Armand Fallières s'était déplacé à Ivry-sur-Seine pour se rendre compte de l'étendue des dégâts.

Pour comparer, d'autres crues de la Seine avaient fait atteindre le niveau du fleuve à 8,96 mètres le 27 février 1658 ; à 8,05 mètres le 26 décembre 1740 ; à 7,32 mètres le 6 janvier 1924 ; à 6,83 mètres le 16 février 1945 ; à 7,24 mètres le 23 janvier 1955 ; à 7,12 mètres le 14 janvier 1982 ; à 5,21 mètres le 24 mars 2001.
Le zouave du pont de l'Alma donne une idée de l'importance de la crue même si ce n'est pas à ce pont-là que les mesures sont réalisées, mais au pont d'Austerlitz.

Heureusement, la crue de la Seine et de ses affluents en amont ou en aval de Paris a été bien moindre que celle de janvier 1910. Au maximum de la crue, dans la nuit du 3 au 4 juin 2016, le niveau est monté à 6,10 mètres à Paris. La crue de juin 2016 paraît donc être une crue vicennale (c'est-à-dire qui revient environ tous les vingt ans). Selon Manuel Valls le 4 juin 2016, la crue a engendré au moins 4 morts et 24 blessés. Les dégâts matériels seraient estimés à 1 milliard d'euros. Tout n'est pas terminé et l'Essonne et l'Yonne pourraient faire durer voire aggraver la situation.
Il n'en reste pas moins que de nombreuses communes comme Montargis, Nemours, Bagneaux-sur-Loing, etc. ont été durement et durablement frappées par les eaux, les réseaux routiers et rails ont été coupés (en particulier l'autoroute A10, les voies sur berges bien sûr, et la ligne RER-C). D'autres villes que sur le bassin de la Seine ont aussi été touchées par les fortes pluies de la semaine dernière.
Les inondations apportent une vision apocalyptique de paysages familiers, surtout lorsque ce sont des paysages urbains. Je propose ici six photographies pour se donner une petite idée de l'ouest de Paris (en aval de la Seine, donc), placé sur la rive droite au 16 e arrondissement. Les trois premières photographies ont été prises le vendredi 3 juin 2016 dans la soirée.
La première photo montre le recouvrement de la voie Georges Pompidou et aussi celle de la petite rue Eugène Poubelle, au niveau de la Maison de la Radio. Cela ne se voit pas sur la photo, mais à droite, il y a un véhicule garé qui a été complètement immergé.

La deuxième photo montre le quartier Beaugrenelle (sur la rive gauche) ainsi que la Statue de la Liberté qui est le long du pont de Grenelle. Le piédestal est immergé. L'allée des Cygnes, qui relie le pont de Grenelle au pont de Bir-Hakeim, est bien sûr complètement immergée.

La troisième photo prise du pont de Grenelle en direction du nord-est montre la Tour Eiffel ainsi que le pont de Bir-Hakeim. On voit deux péniches amarrées qui sont surélevées par rapport aux trottoirs car rehaussées par les flots. Sur la gauche, la voie Georges Pompidou est complètement immergée et ne sont visibles que les sommets des lampadaires. Sur l'extrême gauche, un parking payant, près d'une station service, à la limite d'être évacué.

Les trois autres photographies ont été prises le samedi 4 juin 2016 en fin de matinée, à l'entrée de Paris du côté de la Porte de Saint-Cloud, sur le quai du Point du Jour à Boulogne-Billancourt.
La quatrième photo montre le pont d'Issy dont les piliers sont quasi-immergés par la Seine. En face, ce sont des immeubles d'Issy-les-Moulineaux.

La cinquième photo montre le nouveau bâtiment de Microsoft (sur la rive gauche). Le quai n'est pas immergé mais le niveau du fleuve est aussi haut que le niveau du quai.

Enfin la sixième photo montre le périphérique parisien, entre le quai du Point du Jour et le quai Saint-Exupéry dans le 16 e arrondissement. On devine le quartier Beaugrenelle en arrière-plan sur la gauche.

Alfred Picard, président de section au Conseil d'État et membre de l'Académie des sciences, fut nommé le 9 février 1910 par le Président du Conseil Aristide Briand à la tête de la commission chargée d'évaluer les conséquences de la crue de la Seine de janvier 1910. Il a conclu son rapport général ( à télécharger ici), publié le 30 juin 1910, ainsi : " Les funestes conséquences de l'inaction qui a suivi les catastrophes du passé doivent être un avertissement salutaire. Des résolutions promptes et courageuses honoreront la génération actuelle, attesteront sa sagesse et son esprit de prévoyance. Le gouvernement de la République acquerra de nouveaux titres à la reconnaissance du pays en accomplissant l'œuvre dont la commission vient de jeter les bases. ".

Le 2 mars 2016, Patricia Blanc, la directrice de l'Agence de l'eau Seine Normandie, a déclaré : " Sur les six dernières années, les aides de l'agence destinées à des actions qui contribuent à réduire le risque inondation s'élèvent à 200 millions d'euros ? ". Mais est-ce suffisant quand on évalue à 30 milliards d'euros les dégâts matériels que produirait aujourd'hui une crue de même ampleur qu'en janvier 1910 ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Documents sur les crues de la Seine (à télécharger).
L'eau à Paris.
La neige à Paris.
La catastrophe sur les routes.
L'écotaxe.
La région parisienne.

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160605-paris-crue-seine.html
http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/avant-seine-2016-qui-l-eut-crue-181644
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/06/07/33920104.html