Et patatras, c’est la catastrophe ! Tout était pourtant si bien engagé : pour le président François, après quatre années de vaches de plus en plus maigres, la croissance allait revenir, le chômage fondre, les bonnes nouvelles s’accumuler et la reprise revenir, vigoureuse comme une montée de sève printanière. Manque de bol, tout calcul fait, la reprise n’est plus.
La nouvelle est tombée, glaçante, sur tous les télex de la République du Bisounoursland où, pourtant, tout avait déjà été calé en prévision des réjouissances qui s’annonçaient nombreuses alors qu’enfin, le chômage était vaincu, la croissance revenait et les rivières de miel et de lait s’apprêtaient à couler en jets continus sur tout le pays : malgré les immenses efforts déployés par l’extraordinaire équipe de saltimbanques de la troupe Vallshollande, la joie n’est plus au programme pour les mois qui viennent et les rires cristallins des enfants heureux qui jouaient gentiment dans les couloirs de l’Elysée ont été douchés par les déclarations tristounettes de la Banque de France elle-même : la reprise, c’est fini.
Vendredi dernier, dans un communiqué laconique, la Banque de France a en effet indiqué que le PIB du pays devrait progresser de 1,4%… Ce qui est moins que les prévisions de Bercy (qui envisageait un 1,5% bien ronflant). Et même si la Banque prend des précautions en notant des aléas autour de ses prévisions, elle semble renoncer à envisager une accélération de fin d’année.
Bien sûr, au premier trimestre, le PIB a progressé de 0,6% selon l’Insee ce qui permet d’établir la croissance annuelle au moins à 1,1%. Bien sûr, selon les petits calculs de l’INSEE, la confiance des ménages et des chefs d’entreprises est en hausse, la consommation est solide et l’investissement repart. Bien sûr, les taux de crédit sont rikiki (grâce au sprinkler à pognon à la politique monétaire accommodante de la BCE). Bien sûr, l’euro se tient bien face au dollar (même si le prix du baril montre des petits signes de nervosité). Youpi, donc.
Mais non : la Banque de France semble renâcler à l’idée qu’enfin, le pays serait sorti de l’ornière dans laquelle le méchant (très méchant) Sarkozy l’avait plongé, et de laquelle le valeureux (si valeureux) Hollande l’a sorti. Il faut dire que l’établissement a un peu de quoi s’inquiéter : l’Euro 2016 ne garantit guère qu’une croissance marginale (voire nulle), les cours du pétrole peuvent continuer à grimper, les taux peuvent remonter, le dollar aussi, l’eau de la Seine encore un peu plus, bref, tout n’est pas encore bien calé.
Et puis, il y a aussi quelques signes extérieurs, entêtants et qui montrent que tout ne semble pas aller aussi bien que cela pourrait.
Il y a par exemple la petite musique qui vient de la grosse Commission, à Bruxelles… Peut-être les maladresses (volontaires ?) de Juncker ont-elles forcé Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, à admonester la Commission et, à travers elle, la France, pour la décontraction avec laquelle le pays n’arrête pas de jouer du trampoline sur les critères de Maastricht ? Il faut dire que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, avait expliqué sans rire ne cesser de donner des dérogations à la France en matière budgétaire « parce que c’est la France et qu’on ne peut pas appliquer le pacte de stabilité de façon aveugle », n’est-ce pas, ce qui provoque (et on le comprend) une franche irritation des pays moins arrogants et plus respectueux du pacte en question.
Or, si la Commission devait effectivement sanctionner la France pour sa conduite budgétaire, nul doute que les perspectives riantes et chantantes dressées par Bercy en prendraient un coup.
Il y a aussi l’autre petite musique qui vient de la Bundesbank, la banque centrale allemande, et qui revoit ses propres prévisions de croissance à la baisse… Or, si la locomotive de l’Europe marque le pas (oh, pas de beaucoup, mais tout de même), comment continuer à croire sans hésiter à une croissance revenue et vigoureuse pour la France, régulièrement caractérisée par ses retards à l’allumage et la mollesse de ses reprises ?
Il y a enfin, sur le plan intérieur, la récente accumulation des petites tensions sociales ici et là. Si l’humidité du mois de mai a certainement permis de calmer les ardeurs boboïdes des valeureux dormeurs debout, les autres manifestations de mécontentement, les arrêts de travail d’une certaine catégorie de syndiqués et les « pannes » technico-sociales d’une certaine catégorie de matériel roulant ou électrifiant n’ont absolument pas aidé le pays à continuer sur sa belle lancée pleine de croissance, de reprise et de création d’emploi, ahem brmmmbref enfin vous comprenez.
Dans ce contexte, on comprend d’autant mieux les petits chouinements tristes de Michel Sapin, le factotum en charge de ce qui reste des finances du pays. Pour lui, à force de faire des grèves, des arrêts de travail, des journées d’actions syndicales pas très productives et des blocages de sites divers et variés, on va finir par « mettre des bâtons dans les roues de la reprise de l’économie ». Il faut bien reconnaître que, même s’il a une féroce habitude à débiter des âneries (comme par exemple continuer à prétendre que la France parviendra à tenir ses objectifs d’un déficit limité à 3% du PIB – quel gros bobard, d’ailleurs dénoncé par la Cour des comptes !), notre petit bonhomme n’a pas complètement tort en soulignant qu’à force de rien faire, de s’arrêter et de faire grève, la France pourrait bien marquer le pas.
On regrettera malgré tout que le petit financier du gouvernement n’ait pas jugé bon de nous faire un rapide total du coût des promesses répétées du dorénavant-candidat Hollande. Apparemment, le montant s’établirait tout de même à 18 milliards d’euros.
Ça, plus tout le reste, on a bien du mal à voir où la croissance va venir se nicher, où les économies attendues se trouveront, comment les déficits diminueront et comment la « reprise » arrivera.