Entre temps il a été un succès en auto-édition. La couverture n'a pas changé. Mazarine a respecté le choix de l'auteure en conservant une photo d'enfance. Car il s'agit d'une autobiographie qui impose le respect. On remarque d'ailleurs que Dalila Heuse a les même initiales que son héroïne.
Louis Hanotte, peintre septuagénaire amnésique depuis plus de quinze ans, reçoit par la poste un roman d’une femme dont il n’a jamais entendu parler auparavant. Poussé par la curiosité, il abandonne ses toiles afin de se plonger dans la lecture. Doriane Hector raconte son histoire d’enfant abusée dès l’âge de cinq ans par un père violent et autoritaire, qui fait voler en éclats toute la famille. Profondément troublé, Louis veut à tout prix découvrir le lien qui pourrait l’unir à cette inconnue.Née en Belgique, Dalila Heuse est âgée d’une cinquantaine d’années. C'est avec une sincérité bouleversante et une énergie incroyablement positive qu'elle restitue ce qu'elle a subi sans verser dans l'apitoiement. Avoir choisi la voie fictionnelle (le récit est annoncé comme un roman) lui a sans doute permis de mettre ses sentiments à distance. C'est en tout cas courageux.
Au même moment, dans un service de soins intensifs, Léa, une femme d’affaires de cinquante ans, lutte contre la mort suite à un terrible accident de voiture. Sa mère Marie la veille avec un dévouement surnaturel. Les deux femmes peuvent enfin se parler après tant d’années de non-dits.
Quoiqu'il en soit le livre ne concourt pas au Goncourt. C'est un récit de vie et il doit être lu comme tel. Un témoignage courageux qui, on l'espère permettra aux victimes (qui sont malheureusement nombreuses) d'avoir la force de lever elles aussi le voile.
Les propos sont très justes. Le père de Doriane frappe sa mère qui, comme beaucoup de femmes dans la même situation ne parviendra pas à rester objective. Elle se sent responsable de la violence de son conjoint. L'amour, la honte et la peur exercent sur son jugement un effet pervers. (p. 51)
Plus loin elle lui fait dire que le pardon est une preuve de bon sens et non de faiblesse. (p. 131) A douze ans, le gamine ne parvient pas délibérément à envoyer son père en prison et ses six frères et soeurs à la DASS. (p. 166) L'assistante sociale et le médecin de famille sont au courant et resteront muets. Et le bourreau, à force de renier l'évidence, fera disparaitre la réalité de sa conscience (p. 204).
C'est un vrai coup de chance que le sport ai permis à l'adolescente de transcender sa situation. Elle va conquérir une forme de gloire avec la natation et on peut penser que c'est aussi une barrière protectrice qu'elle a réussi à ériger entre ce père et elle.
Les chiffres sont glaçants. On parle de 2 millions de victimes. On dit que dans chaque classe de toutes les écoles il y aurait 2 enfants concernés. On se demande pourquoi la prescription trentenaire continue à protéger les violeurs alors que l'important serait de soutenir les victimes. Une proposition de loi visant à supprimer la prescription a été refusée au moins 3 fois à l'Assemble nationale. On se demande pourquoi.
Dans un tel contexte le livre de Dalila Heuse est une lecture essentielle. Et la preuve que le malheur n'est pas une fatalité indélébile rendant tout bonheur impossible. Pour l'heure le blog tenu par l'auteure n'est pas vraiment un blog littéraire, et il est truffé de fenêtres publicitaires. Il sera temps à la publication d'un second roman de trancher sur un statut d'écrivain.
Elle a tenu à dédier sa récompense à toutes les victimes de pédophilie. Marchez la tête haute, leur dit-elle, vous avez survécu !
La Pudeur des sentiments, de Dalila Heuse, Lauréate Amazon 2015, éditions Mazarine, en librairie le 6 juin 2016