Bonjour à tous,
Je sors un peu le blog de sa jachère pour pousser un coup de gueule. Certes il y a beaucoup d'actualités qui s'enchaînent et nous sommes à présent un peu loin des sujets éducatifs... De même, la Réforme du Collège, si elle a pu suscité de nombreuses oppositions, est maintenant (tant bien que mal) en cours d'application.
Pour autant, elle n'est pas la modification concernant notre système scolaire. En effet, le lycée a vu dès cette année la prise d'effet d'une mesure radicale : la fin du redoublement de la classe de seconde. Déjà limité dès 2014 (et déjà de moins en moins utilisé pour la classe de première), c'est donc la fin d'un système... Mais pas pour autant les bases d'un nouveau, et c'est bien cela le problème qui se pose en période de conseils de classe. Il me semble donc important de parler de ce sujet absent des médias.
Ce qui change exactement
Tout est en fait une question de cases à cocher. Pendant l'année de seconde, qui est une classe de détermination (au cours de laquelle l'élève doit s'orienter), une feuille dite "de dialogue", remplie de cases, est donnée à chaque élève. Celle-ci permet à l'élève et à sa famille d'émettre des souhaits d'orientation dès le second trimestre, et au conseil de classe de lui donner un avis (second trimestre) ou de faire une proposition (troisième trimestre).
Auparavant, le conseil de classe du troisième trimestre pouvait les avis et propositions suivants : -le passage dans une filière générale (ES, S, L). -le passage dans une filière technologique (STMG, ST2S, STI2D, STD2A, STL, STAV). -la réorientation dans une filière professionnelle-le redoublement. S'il y avait un désaccord, la famille pouvait en discuter avec le chef d'établissement afin de trouver un terrain d'entente, puis ensuite faire appel de la décision auprès de la commission d'appel pour que celle-ci modifie l'orientation après avoir entendu les arguments de l'élève et de sa famille.
Désormais, au nom d'une orientation choisie et non subie, le conseil de classe du Troisième trimestre pourra émettre ces avis : -le passage dans une filière générale-le passage dans une filière technologique-la réorientation dans une filière professionnelle (si l'élève ne demande aucune autre filière). Les solutions en cas de désaccord sont maintenues. Le redoublement est pudiquement renommé "maintien" si celui-ci est décidé par le chef d'établissement ou par la commission. Mais celui-ci n'est décidé que s'il est justifié par un cas très particulier (une scolarité interrompue, un dossier médical).
Des effets pervers
Si la bienveillance dont émane cette décision est cohérente avec notre mission, elle n'en est pas moins dénuée d'effets pervers.
-Effet pervers n°1 : "la dévalorisation du travail". Bien que le message ne soit pas directement envoyé, il est clairement compris ainsi par certains élèves, pour lesquels le nouveau système est aberrant : "rien ne sert de travailler pour passer". Or pour de nombreux élèves et même certaines familles, c'est la seule chose qui compte : ne pas redoubler. Le redoublement est en effet très souvent vu comme une sanction alors qu'il peut être également vu comme une seconde chance. Le problème de tout cela est que la vocation à plus long terme est aussi de réussir et de préparer un avenir (être accepté dans une filière supérieure, maîtriser des compétences et des connaissances, préparer un avenir professionnel).
-Effet pervers n°2 : "la poubellisation de certaines sections". Ce terme est probablement un peu trop péjoratif mais il a le mérite de montrer une évolution prévisible claire : celle de l'effondrement de la valeur de certaines filières technologiques. La STMG est particulièrement concernée. Déjà mal vue (y compris par de nombreux parents), elle est le dernier recours des élèves pour passer. En effet, les filières générales nécessitent des résultats supérieurs dans les matières clefs et les autres filières technologiques sont contingentées. Le conseil de classe, obligé de proposer une premières générale ou technologique, fait donc cette proposition. Obtenir le graal du passage au niveau supérieur pourra donc se faire, mais est-ce vraiment dans l'intérêt de l'élève ? Dans l'intérêt de celui qui veut passer sans choisir, ni travailler, pour rester au chaud, sans aucun doute. Mais pas dans l'intérêt des élèves qui choisissent vraiment cette filière par intérêt.
-Effet pervers n°3 : "l'hétérogénéisation des classes de premières". Le troisième effet pervers sera une hétérogénéisation des classes de premières. Car les filières générales seront également "touchées". Des élèves étant probablement capables mais dont les fragilités sont également avérées pourront de plus en plus y avoir accès suite à l'entretien ou à l'appel, alors que le conseil aurait auparavant proposé un redoublement. Il apparaît donc que le niveau de certains élèves sera très insuffisant pour suivre des filières générales et même technologiques. Passer en première S avec des résultats inférieurs à la moyenne (sur une année) dans les matières scientifiques n'est pas un cadeau et promet des heures difficiles à ceux qui en bénéficient. Passer avec 1,5 de moyenne en mathématiques (au cours du troisième trimestre) en 1ère STI2D sous le prétexte d'un projet professionnel en architecture (sic) est à la limite des lois de la logique. Résultat : en première, le fossé sera toujours plus grand entre le niveau des élèves et leur degré de mise au travail et de motivation. Or les exigences du baccalauréat restent là malgré tout.
-Effet pervers n°4 : "Une orientation pas si voulue". Le dernier effet pervers me semble le plus cruel. En effet, il n'est pas possible toutefois, malgré la clémence d'un tel système, d'approuver le choix d'orientation de tous les élèves. Par ailleurs, le redoublement offrait parfois la possibilité aux élèves d'une seconde chance en vue d'un passage plus facile dans la filière souhaitée. Même si ces "secondes chances" ne sont pas majoritaires, elles permettaient une plus grande souplesse et étaient finalement plus bénéfiques pour des élèves réellement motivés et ayant un projet d'orientation très clair, mais s'étant égaré au cours d'une année, ce qui peut tout à fait arriver à cet âge. Le nouveau système est donc très dur avec certains élèves qui avant pouvaient réussir un redoublement et qui désormais se verront refuser le maintien. Il demande plus de responsabilité et de maturité pour les élèves qui n'ont que 15 ou 16 ans.
Le manque de dispositifs de compensation
Nous l'avons vu, les nouvelles dispositions d'orientation sont contestables. En effet, si le redoublement n'avait pas toujours l'effet escompté et était trop vu comme une sanction, il ne sera plus du tout considéré par les élèves qui n'auront donc plus de pression (car pour certains la perspective d'un redoublement était source de mise au travail). Si la fin du redoublement est souvent justifiée au regard de son manque d'efficacité et de sa suppression par d'autres pays, il n'amène cependant pas de compensation. En effet, même si les premières ont des heures d'Accompagnement Personnalisé depuis quelques années, cela semble insuffisant pour remettre à niveau certains élèves qui passent malgré des difficultés très importantes dans des matières à gros coefficient pour le baccalauréat. Par ailleurs, malgré des dispositions annoncées assez tôt pendant cette année scolaire, aucune annonce n'a suivi concernant des heures d'aides, des stages de remise à niveau,... comme le font certains pays. Il ne semble pas non plus que les Dotations Horaires Globales aient significativement changé pour prendre en compte cette nouvelle donne et aucun dispositif officiel et généralisé à la France n'a été évoqué. Il faudra donc que les établissements bricolent pour que les chiffres du baccalauréat soient maintenus. Si cela est possible...
Vin DEX.