VOL DIRECT POUR HANOÏ
I
Le premier matin du monde
Partis la veille de l’île de Cát Bà, nous avons mouillé pour la nuit dans les eaux d’un vert de jade du golfe du Tonkin. Le festin tapageur des termites ne nous a pas laissé fermer l’œil. Au petit matin, le soleil darde ses rayons sur les pitons rocheux recouverts d’arbres épiphytes qui font la splendeur de la baie d’Ha Long. Dans les arbres, des singes. Et au-dessus des arbres, survolant les lagons l’œil scrutateur, des aigles pêcheurs. Au pied des piliers calcaires, de minces plages sont jonchées de coraux. Personne n’y a jamais posé le pied. Sauf nous. Arrivés à la nage, nous explorons la langue de sable blanc. Par endroits, l’érosion a creusé des grottes qui font le bonheur des chauves-souris. À l’horizon, nous distinguons un village flottant comme les nombreux que nous croiserons pendant notre navigation. Sur les planches arrimées à des flotteurs, la vie est bien organisée. Il y a même des petits commerces. Ici c’est une épicerie, là ce sont des pompes à essence. Phom a remonté ses filets. Accroupi à l’arrière de la jonque, il prépare une salade de poulpes et des huîtres marinées. Au moment de passer à table, c’est un déjeuner de rois qui nous attend. La veille, nous n’avions rien laissé de ses mets délicieux. Il a dû penser que nous n’avions pas eu assez. Alors que la jonque tangue légèrement, dominée par un rocher en aiguille dont la base est plus mince que le corps, nous savourons ce moment que nous ne vivrons probablement qu’une fois dans nos vies.
À suivre.