…”Le village de l’allemand” [Boualem Sansal]
Deux frères d’origine algérienne tiennent un journal décalé dans le temps. Vivant en France, banlieue parisienne, ils ont appris avec horreur le destin funeste de leurs parents : le père, Hans Schiller, héros du FLN et d’origine allemande vient de finir ses jours au bled, égorgé par le GIA. “Le village de l’allemand ” est campé.
Vous venez de commencer ce livre, vous en sortirez le souffle « court ». Pourtant Boualem Sansal se refuse à la facilité, il ne met pas « en lignes » des mécanismes littéraires faciles pour surprendre ou émouvoir. Il fait simple, dans une très belle langue épurée de tout artifice.
Ce roman est né d’une histoire vraie, celle d’un ancien SS devenu héros d’un petit village d’Algérie. Il a épousé la nationalité algérienne et la fille du Cheïkh après la “longue fuite”. C’est Nasser, l’égyptien, qui l’a envoyé pour aider le FLN dans ce petit village de la région de Sétif. Il y sera honoré, respecté, adulé.
“L’allemand” a envoyé ses deux enfants, Rachel et Malrich en France pour leur éducation. C’est alors que tout se mêle, l’aîné qui réussit, le cadet qui trainasse. L’aîné qui épouse l’occident, le libéralisme économique, la réussite sociale. Le cadet qui “glandouille” dans sa banlieue, suit “les grands frères” se “pique” de Mosquée et d’Imam, envisage Kaboul … Et puis c’est le clash ! Un massacre au bled. Un voyage de l’aîné, les traces du père retrouvées, la descente aux enfers et le … NON !
« Pour mon père et pour ses victimes, je vais payer sans faute. Ce n’est que justice. Il ne sera pas dit que les Schiller auront tous failli. Que Dieu, cette chose aveugle et sourde qui erre majestueusement dans le ciel, pardonne à mon père et veuille noter que pour ma part je n’attends rien de lui. Que ses victimes nous pardonnent, voilà pour moi . Ma mort ne répare rien, elle est un geste d’amour. »
L’aîné a laissé un cahier au cadet dans lequel il explique tout. C’est le second “voyage”, celui de Malrich, auquel nous sommes invités. Mais le don de l’auteur c’est de mêler les deux, dans une progression digne du plus grand suspens. Cest de faire découvrir une rédemption individuelle, “Rachel a fait un voyage et « un truc s’est cassé dans sa tête“, confrontée à une tentation de rédemption collective. Avec toujours cet impératif, “se taire est criminel”, nous devons à nos enfants la vérité.
Pour Boualem Sansal, ce n’était pas rien que d’oser aborder les liens entre hitlérisme et islamisme. Il a été enseignant, consultant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire au ministère de l’industrie algérien. Il est limogé en 2003 pour ses prises de positions critiques contre le pouvoir en place.
«En avançant dans mes recherches sur l’Allemagne nazie et la Shoah, j’avais de plus en plus le sentiment d’une similitude entre le nazisme et l’ordre qui prévaut en Algérie et dans beaucoup de pays musulmans et arabes. On retrouve les mêmes ingrédients et on sait combien ils sont puissants. »
Il ose comparer son pays à un «camp de concentration à ciel ouvert» «L’islamisme n’est pas encore le nazisme mais la frontière est mince, il s’en rapproche» explique-t-il.
On pourra disserter sur cette analyse “dynamite”, mais un fait demeure : les algériens ne pourront pas lire ce livre librement.
Au delà du thème “provocateur”, il y a une autre lecture qui ne vous échappera pas. C’est le roman de la rencontre entre deux frères éloignés et qui se rejoignent par le drame. Chacun avec sa culture, son ego, des réactions différentes mais au fil du livre un amour qui se renforce, une unité qui s’affirme dans “l’épreuve” du souvenir.
Je vous conseille avec vigueur ce roman de l’auteur du “Serment des barbares” car comme le dit Malrich, refusant le suicide : “Dire la vérité, partout dans le monde. Après on verra.”