Mon collègue mondoblogueur Émile Béla nous a parlé dans un excellent article teinté d’humour de difficultés qu’il rencontre à créer un climat de parfaite entente entre lui et sa cuisine. Interpellé, j’ai aussitôt pensé à tous ces jeunes gens pour qui cuisiner est un véritable casse-tête.
L’histoire d’Émile est aussi celle de cet étudiant qui, du jour au lendemain, se retrouve à des milliers de kilomètres de chez lui ; celle de ce trentenaire, célibataire de son état, qui vit seul et doit se débrouiller pour goûter à un plat chaud et fait maison.
Car en Afrique, dans la plupart des cas, la cuisine est avant tout une affaire de femmes. Dès l’enfance on a apprend à considérer que la place du garçon n’est pas aux fourneaux. Une règle non écrite voudrait même que la cuisine est l’unique pièce de la maison où la mère et ses filles sont souveraines. Ni le père ni les garçons ne peuvent y entrer allègrement surtout au moment où l’on apprête le repas.
Dans les conversations entre amis, un homme peut se prévaloir de toutes les qualités mais il ne se risquerait pas à parler de ses compétences en matière culinaire. S’il est célibataire, il serait accusé de ne pas vouloir convoler de sitôt justement parce qu’il est capable de cuisiner pour lui-même. Dans le cas où il est un homme marié, on y verrait la preuve de sa domination par son épouse (puisqu’il serait obligé de cuire ses propres repas).
L’objectif de cet article n’est pas d’émettre un jugement sur la considération que les sociétés africaines ont de l’art de préparer les mets. Je tiens juste à faire ressortir le problème que cela pose alors que de plus en plus d’hommes se marient à trente ans passés ; de plus en plus de jeunes gens vont vivre loin de leurs contrées d’origine pour diverses raisons. Par ailleurs on ne peut pas compter sur la restauration pour pallier ce problème dans une Afrique où la culture d’aller manger hors de la maison n’est pas très répandue.
Faut-il attendre que l’on soit en couple pour enfin manger ce qui a été bien préparer ? Je dirais non. Car la vie qu’on mène avant le mariage est au moins aussi importante que celle qu’on mène après. Par conséquent il s’avère nécessaire que tout homme apprenne les rudiments de la cuisine juste au cas où.
Bref, la pièce réservée à la cuisson de nos aliments ne doit plus être interdite à toute présence masculine. Pour commencer, on pourrait confier aux garçons les tâches préliminaires comme nettoyer les assiettes ou approvisionner la maison en eau. Plus tard, on pourra leur demander d’assurer le service.
C’est à cette occasion qu’un jeune homme entreverra sa mère ou sa sœur découper un poisson, éplucher un légume ou faire l’omelette. On a là un début d’apprentissage de l’art culinaire. L’apprentissage par l’observation en somme. Ensuite, « l’élève sera invité à participer à des petits exercices pratiques ». Et je parie qu’au bout de quelques mois le résultat sera édifiant.
Je suis parfaitement conscient de difficultés qui en résulteraient et de l’impact sur l’équilibre de la famille au sens où on l’entend en Afrique. Et mon soucis n’est pas celui de voir dans toutes les familles des garçons qui savent très bien comment préparer le Ndolé, le Bukari ou le couscous au point de prendre la place de leurs sœurs.
On doit juste considérer ce qu’on a à y gagner :
- Le garçon sera en mesure de se prendre en charge s’il doit aller vivre seul loin du domicile familial.
- Toutes les tâches faites par son (ses) frère(s) constituent du boulot en moins pour la fille à qui on demande non seulement d’apprendre les obligations liées à son futur rôle d’épouse mais aussi d’être bonne à l’école. Tandis que les autres font la vaisselle, elle pourra répéter ses leçons.
Tout le monde a donc à gagner dans le fait de « masculiniser » notre savoureuse cuisine africaine.