Avant l'épreuve
finale, un billet de synthèse sur le retour des inégalités de salaires.
Trois aspects différents seront abordés:
- Comment ont évolué les inégalités de salaires dans la période récente ?
- Quelles en sont les principales explications ?
- Que peut-on en déduire ?
Ascension, descente, gravure de Escher
D'abord le constat.
Quelques rappels (si vous avez révisé, c'est facile).
En cours, vous avez vu qu'au XXe siècle, les inégalités de revenus se son réduites en France de 1968 à 1983.
C'est une période marquée par de très fortes revalorisations du salaire minimum. Thomas Piketty montre l'impact décisif qu'a pu avoir une fiscalité progressive sur les hauts revenus. On peut donc dire que l'intervention de l'Etat et l'extension du
fordisme ont joué un rôle conséquent dans
ce processus de réduction des inégalités de revenus.
Vous avez également vu que, dans la période récente, les hauts revenus connaissent une forte croissance: une part importante de ces revenus est composée de revenus du patrimoine (revenus
fonciers, revenus des capitaux mobiliers et plus-value). Ce sont ces revenus qui ont connu une très forte hausse.
Actualisons un peu notre constat.
Concentrons-nous sur les salaires uniquement.
L'économiste Camille Landais a mesuré l'évolution du salaire moyen de 1998 à 2006 (en euros
de 2006). Voici les résultats de son
étude:
- les 90 % de salariés ayant les salaires les plus élevés: + 3.9 % (soit une hausse de 0.6 % par an)
- les 10 % de salariés ayant les salaires les plus élevés: + 7.6 %
- les 1 % de salariés ayant les salaires les plus élevés: + 13.6 %
- les 0.1 % de salariés ayant les salaires les plus élevés: + 29.2 %
- les 0.01 % de salariés ayant les salaires les plus élevés: + 51.4 % (soit 6.1 % d'augmentation par an)
Il y a donc une explosion des inégalités de salaires (que l'on retrouve dans tous les pays développés). Regardez ici ce
document sur les Etats-Unis, si la tendance est bien la même, l'ampleur des écarts est frappante.
L'écart se creuse entre les working rich (littéralement les riches qui travaillent) et la masse des salariés.
Une très faible minorité voit donc son revenu du travail fortement progresser, alors que l'immense majorité se contente d'une très faible augmentation.
Quelles peuvent être les explications ?
Le débat est vif (on comprend les enjeux), on peut retenir deux éléments décisifs qui semblent dominer: la globalisation et le progrès technique
(cela doit vous rappeler des souvenirs, non ?)
Il existe, dans les pays développés, un double mouvement:
- une hausse du salaire relatif des plus qualifiés (par rapport au salaires des catégories moyennes).
- une réduction des écarts entre les salariés les moins qualifiés et les salariés de catégorie intermédiaire.
Ceux dont les emplois sont exposés à la concurrence internationale (en gros, les secteurs industriels traditionnels) sont condamnés à ne pas voir leur salaires augmenter (pour maintenir la
compétitivité-prix) ou d'être déqualifiés en cas de délocalisation.
Ceux dont les emplois ne sont pas soumis à la concurrence internationale (pour aller vite les services notamment à la personne) ne sont pas menacés par le chômage, mais leurs emplois sont peu
qualifiés, leur durée de travail est plus faible (emplois à temps partiel)...
On peut également, comme Daniel Cohen le rappelle, montrer que des inégalités
intra-catégorielles s'ajoutent aux inégalités entre les catégories sociales:
"l'O-Ring est le nom du joint dont le dysfonctionement a été à l'origine de l'explosion de la navette spatiale Challenger (...) La leçon que Kremer tire de cet exemple est tout simplement la
suivante: pour une chaîne donnée de production, le moindre dysfonctionnement d'une des parties menace la production du tout. il en résulte que les niveaux de qualité, de qualification des
travailleurs qui sont engagés dans un processus de production commun doivent être très proches (...) Les meilleurs vont ensemble. Si ce phénomène d'"appariement" des talents semble dans l'ordinaire
des choses, il est facile de mesurer à quel point la révolution informatique va l'exacerber."
Daniel Cohen, Richesse du monde, pauvreté des nations, coll. Champs, Flammarion, 1997.
Ainsi, il ne faut pas seulement comparer le salaire des cadres supérieurs avec celui des autres catégories sociales (inégalités inter-catégorielles);
mais également le salaires des cadres entre eux (inégalités intra-catégorielles) En effet, le cadre d'une PME aura une progression de salaire beaucoup
plus faible que son homologue d'une grande entreprise opérant dans un secteur favorisé par la mondialisation.
Dès lors, la spécialisation productive dans les biens sophistiqués (une conséquence de la mondialisation, c'est pas David Ricardo qui nous contredira^^)
donne une prime aux salariés maitrisant les techniques correspondantes, les "tirant vers le haut".
Alors que parallèlement, la hiérarchie des revenus entre les salariés moyennement et peu qualifiés se resserre, les "tirant vers le bas".
Anxieté Edvard Munch
Que peut-on en déduire ?
Là encore, les conséquences sont très nombreuses, j'en ai sélectionné deux.
- dans le domaine de la consommation: depuis quelques années, on voit apparaître en parallèle l'essor des produits "low
cost" (lisez moi le lien sur wikipédia, histoire de réviser les coûts fixes et les coûts variables ^^)
et le succès quasi-insolent des produits de luxe.
Dans le premier, on y trouve entre autre: la Logan de Renault (+ 250 % de progression en janvier 2008 par rapport à janvier 2007), l'ordinateur portable eee
d'Asus (2 millions d'exemplaires dont moi même), les hard-discounter (l'enseigne Franprix du groupe Casino a vu ses ventes grimper
de 8.5 % en 2007), Ikéa avait déjà ouvert la voie avec ses meubles design Do it yourself.
Tous ces succès n'ont rien à envier à Audi, Rolex, Louis Vuitton et autres marques "bling bling" (concept marketing peu rigoureux à ne pas utiliser lors de l'examen ^^).
Certains préconisent même d'étendre le modèle économique du low cost pour faire
augmenter le pouvoir d'achat des français. Mais cela risque de renforcer le caractère inégalitaire des tendances déjà à l'oeuvre.
Comme le dit Philippe Askenazy dans le Nouvel Observateur de cette semaine: "En gros,
les ménages les plus modestes n'auront plus à prendre leur voiture pour aller à l'hyper mais ils auront leur magasin hard discount près de chez eux (...) Les gros hypers restent un lieu de mixité
sociale en mariant promos, prix bas et prix élevés (...) Le low cost représente un gain pour le consommateur. Mais il faut bien distinguer entre la consommation low cost choisie par des
consommateurs riches qui vont acheter un Paris-Porto en promo, et la consommation low cost contrainte des consommateurs, qui remplissent leur chariot dans un magasin hard discount parce qu'ils ne
peuvent pas aller faire leurs courses ailleurs."
- ce qui m'amène à mon deuxième point: l'intervention de l'Etat. Les politiques menées depuis quelques années sont ambigues dans ce domaine.
Les baisses des taux marginaux d'imposition sur le revenu (de 54 à 40 % entre 1998 et 2006), les niches fiscales ou la mise en place du bouclier fiscal en France ne vont pas dans le sens de la
réduction des écarts de revenus disponibles entre les ménages.
C'est évidemment la question des politiques redistributives qui est posée; et à travers elles, une réflexion sur les notions d'égalité et d'équité.
Ce qui se complique, c'est que le contexte n'est plus le même: le travail est déjà lourdement taxé, le capital, s'il est taxé trop fortement, ira se placer ailleurs (en 6 ans, les entreprises du
CAC 40 ont réduit de 40 % leurs investissements en France - source: "On comprend mieux le monde à travers l'économie" Patrick Artus et Marie-Paule Virard, les Echos éditions 2008).
Les raboteurs de parquet Gustave
Caillebotte
Pour prolonger: SOS...SES... en avait déjà parlé:
- Comment se représenter la mondialisation ?
- Mythes et paradoxes de la mondialisation
- Que les hauts revenus lèvent le doigt.
- S'il te
plaît...Dessine moi la société !
Bon alors alors, mon jingle est l'un de mes préférés. Il date de 1977
Vous connaissez mes goûts entre autre pour la musique jamaicaine, chaque fois que j'entends cela, cette voix profonde,cette rythmique chaloupée, la basse (bien grasse), hé bien croyez-moi si vous
le voulez, je suis d'accord: "I want equal rights and justice" (bon en même temps, si mon salaire monte un peu plus, je ne suis pas contre non
plus...Ah c'est pas possible ? Uniquement pour les super- wonder-fonctionnaires ? ^^)
Musique ! Trois ! Quatre ...
Découvrez Peter Tosh!
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