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Ce sentiment persistant d’insécurité

Publié le 06 juin 2016 par H16

La France peut bien subir des grèves, des blocages, des inondations, elle reste toujours la France avec son art culinaire, ses paysages colorés et ses traditions parmi lesquelles figure apparemment le détroussement des voyageurs sur les routes du pays, et pas seulement par la maréchaussée dûment accréditée pour ça…

C’est ainsi qu’on apprend, de façon tout d’abord fort discrète dans un petit article du Parisien, qu’un sentiment fortuit d’insécurité se serait matérialisé assez brutalement chez une petite troupe d’itinérants festifs et joyeux dans notre beau pays. Il se serait même cristallisé lorsqu’un sac à main se serait fait dérober d’une Mercedes en voyage à la sortie de l’autoroute A86, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) en direction de Saint-Denis.

Bon, manque de bol pour les autorités, la diplomatie française et (on va le voir) la presse nationale française, le sac à main était celui de la Princesse Astrid de Belgique, la Mercedes celle de sa famille royale et la petite troupe, la délégation de véhicules officiels. Dommage pour Le Parisien qui n’a pas cru bon de terminer en louant notre Sécurité Routière qui place des radars et des flics par douzaines sur les routes de France mais n’étend pas le concept de sécurité jusqu’à celui des portières, des vitres et des sacs-à-main sur le siège avant. Plutôt, il choisit de conclure avec une sobriété de chameau que l’enquête a été confiée à la Sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis, voilà voilà, et passons vite fait à la météo, hein, après tout, l’eau monte et Paris-Plage semble avoir pris de l’avance, tagada tsoin tsoin.

paris plage plouf

Pour situer un peu dans le temps, tout ceci a eu lieu le 3 juin. La moiteur du mois justifie sans doute que le reste de la presse, écrasée par les températures affolantes et la sécheresse qui règne actuellement, n’ait pas vu l’entrefilet et n’ait donc pas trouvé le temps de relayer l’information. Mais bon, tout de même : on ne parle pas de Jean et Josette Dubidon dans leur 406, qui ont subi la même avanie et dont, objectivement, toute la police (y compris la maintenant célèbre Sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis) se fout éperdument nonobstant le dépôt de plainte et les petits papiers que la famille Dubidon aura remplis.

Mais bon, il y a par exemple 50 ans de cela, les circonstances auraient été différentes et on peut parier que la mésaventure de la Princesse et de son mari l’archiduc Lorenz auraient au moins fait l’objet d’un article dans la presse nationale. Après tout, à cette époque, ce n’était pas tous les jours que la France recevait des hôtes de marque et qu’ils se faisait dérober leurs affaires de façon aussi vile. Et même récemment, lorsqu’un prince saoudien se fait tirer une montre de luxe, la presse relaie sans même hésiter à rappeler que ce n’est pas le premier cas d’espèce.

journalism - demorand keep faking
Mais ici, rien. La modestie de la somme dans le sac de la Princesse (seulement 2000€, les enfants, un peu plus d’un SMIC, que peut-on faire avec ça de nos jours, sérieusement ?), la provenance des victimes (on ne parle pas de l’Arabie Saoudite, ici, mais de la Belgique, hein, un pays limitrophe et ami qui n’a pas assez de pétrole et beaucoup trop d’expatriés fiscaux, n’est-ce pas), et le mode d’exaction (un vol à la portière, mes pauvres amis, l’enfance de l’art et donc probablement un jeune en mal de sensations fortes, tout au plus, pas un gang de dangereux criminels), bref, tout concourt donc à ce que la presse française passe un blanc pudique sur l’événement.

Il faut attendre le 4 juin pour que ce soit RT (le vigoureux organe de Putine – je parle toujours médias, ici) qui en parle. Belle reprise de volée de la part de nos amis russes, mais malheureusement, il n’y a guère besoin de les forcer à nous faire voir la réalité déplorable du pays puisqu’ils ne font que reprendre des informations malheureusement exactes et surtout, toujours pas présentes dans la presse française nationale qui continue, le 4 juin, à s’en foutre complètement (l’eau continue de monter, les amis, et Roland Garros prend la tournure d’une vaste blague humide).

Magie des réseaux sociaux, c’est à partir de cette source que l’information commencera à tourner un peu, de pages Facebook en Twitters divers, pour arriver, finalement, le 5 juin, après 48 heures de pérégrinations dans les tuyaux d’internet, dans les petites feuilles de la presse nationale. Enfin, « presse nationale »… Closer et des tabloïdes « People » dont on finira par croire qu’ils en font plus et mieux en matière de journalisme que les médias officiels (du reste, c’était bien Closer qui avait lâché le morceau sur la maîtresse élyséenne). Voilà qui permet d’établir une échelle de valeur du journalisme français, qui n’est décidément pas à l’avantage de la presse nationale sur-subventionnée.

astrid - vol à la portière - google news

Le 5.06.16, vers 12:00, GoogleNews est formel : toujours rien dans la presse nationale. Ça va mieux.

En définitive, on ne peut qu’admirer cette belle performance : une Princesse se fait brigander par des malandrins non assermentés sur une route de France, ce qui intéresse vaguement la presse people et ses petits potins, mais pas plus. Peut-être la Princesse aurait-elle dû se faire violer ou tuer pour qu’enfin, Libération, Le Figaro, Le Monde et les journaux télés finissent par rendre compte d’un fait certes divers, mais impliquant une personnalité étrangère en déplacement sur notre territoire, et indiquant pourtant clairement comme un petit délitement inquiétant de la sécurité dans le pays.

Délitement qui, au passage, n’est pas ressenti seulement par les Princesses en Mercedes (ou Jean et Josette Dubidon en 406) mais aussi par certains de nos élus qui n’hésitent pas à se faire payer une arme et le porte-flingue qui l’accompagne par les fonds publics. Si la plèbe doit être impuissante, les élus, eux, doivent prudemment s’armer. Au cas où.

Mais voilà, princesse Astrid, pas de bol : comme le dit d’emblée l’article du Parisien, « Le scénario était des plus banals », votre aventure, chère Altesse, est d’une banalité affligeante et ne déclenche donc qu’un vague bâillement auprès des médias (et probablement autant auprès de la maintenant indispensable Sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis). Comme la presse nationale s’en fiche, votre sentiment d’insécurité (routière ?) perdurera.

Une bonne nouvelle cependant : en matière de sentiments, celui d’insécurité en premier, il est maintenant probable que la Princesse belge partage plus avec le peuple français que son élite politique et sa classe jacassante.

C’est tout à fait rassurant.


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