" ...Le nouveau converti l'avoue officiellement : il ne se reconnaît pas dans le peuple de son pays. Ni naturellement dans la majorité blanche ni non plus dans la minorité noire opprimée qu'il considère totalement soumise au pouvoir blanc. Lui, l'arrière petit-fils d'esclave, aujourd'hui meilleur boxeur du monde, proclame à la face de la terre qu'il brise ses chaînes.
C'est un tollé dans l'Amérique bien pensante. Quoi, cet enfant (21 ans) noir, à qui son peuple a permis de s'émanciper en allant chercher une médaille d'or à Rome puis de se couvrir d'un matelas de dollars avec une ceinture mondiale, est maintenant le pion d' Elijah Muhammad le prophète black très contesté et de son porte-parole, le prédicateur Malcolm X[1], qui l'est tout autant ? Beaucoup de spectateurs vont maintenant payer pour venir voir Ali se faire casser la gueule. Les anciens champions noirs comme Joe Louis et Gene Tunney, ou les actuels comme Floyd Patterson, prennent fait et cause contre lui. " Je boxerai Patterson dans un combat où toute la bourse ira au vainqueur, réplique Ali, J'offrirai cet argent aux Musulmans noirs, et Patterson pourra le donner à l'église catholique s'il gagne. "
[1] Qui sera assassiné le 21 février 1965 par ses propres anciens " frères " des Black Muslims.
La rumeur enfle autour des pourcentages exorbitants que les Musulmans noirs lui croqueraient au passage. Son propre père, grande gueule lui aussi, s'offusque : " Il a été escroqué ". Cash Clay sait sans doute mieux que personne ce qui s'est réellement tramé durant la période qui a précédé le combat contre Liston.
Car c'était plus qu'un championnat du monde qui s'était disputé : une lutte d'influence sauvage en coulisse pour s'approprier la victoire et le magot que le titre rapporterait. D'un côté, la pègre de Garbo & Cie accrochée à conserver la ceinture de Liston lui servant de couverture officielle à ses activités de racket généralisé, de l'autre la NOI (Nation of Islam) d'Elijah Muhammad obsédée à faire à tout prix de Cassius Clay-Muhammad Ali un extraordinaire et exemplaire produit d'appel de ses entreprises. Les hommes de main du NOI (les tueurs, comme n'hésite pas à les qualifier Renaud de Laborderie dans " Millionnaires du sport ") harcèlent verbalement Liston en pleine séance d'entraînement et le gratifient de menaces de mort s'il bat Clay : " Si tu gagnes, tu es mort dans l'heure qui suit. "
On se doute qu' Ali ne fera pas mention de ces techniques particulières de persuasion dans son autobiographie " Le plus grand ". Mais il y laissera transparaître, par le biais de l'analyse de Truman Gibson un célèbre avocat, que leurs effets avaient été efficaces : " Si Ali n'avait pas été musulman ni appartenu à une puissante organisation noire, les chances de voir le titre poids lourds échapper à l'influence et au contrôle du syndicat du crime auraient été minces. L'entrée des Musulmans noirs sur la scène des poids lourds finit par briser les reins aux gangsters. C'est la seule organisation dont la Mafia hésitera longtemps à essayer de s'emparer. "...