La Commission Européenne veut modifier la réglementation bio pour pouvoir autoriser la présence dans les produits bio d'une dose "tolérable" de pesticides de synthèse. Cette dose seuil aurait pour but de ne pas décertifier les produits bio qui auraient été "un peu" contaminés, accidentellement, soit suite à des erreurs de manipulation, soit lors des traitements par des pesticides de synthèse effectués par les agriculteurs de voisinage.
Cette mesure, très certainement poussée par les lobbies agricoles, pourrait discréditer le bio et risque à terme de détourner les consommateurs des produits bio, dont on ne pourra plus dire qu'ils sont tout à fait sains, et ainsi tuer dans l'oeuf l'agriculture bio qui se développe de plus en plus au détriment de l'agriculture conventionnelle industrielle.
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"Il n'est pas question d'accepter de dénaturer la qualité des produits bio, de mettre en danger la santé des consommateurs, et donc de tolérer les pesticides de synthèse dans les produits bio " a déclaré à Bioaddict.fr Didier Perréol, le Président de l'Agence Bio, en février dernier.
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Stéphanie Pageot, Présidente de la Fédération Nationale de l'Agriculture Biologique des Régions de France (FNAB), se veut également rassurante. Interview :
Bioaddict.fr : Les consommateurs s'interrogent sur les changements des règles de la production biologique qui pourraient être décidés à Bruxelles. Pourriez-vous clarifier la situation ?
Stéphanie Pageot : Contrairement à ce qui a été écrit, il n'est pas du tout question d'autoriser les pesticides et les OGM en bio. La situation est la suivante : le règlement de l'agriculture biologique, qui est pourtant récent, est entré en révision à la demande du précédent commissaire européen à l'agriculture, Dacian Ciolos. Une des nouvelles mesures proposées est de faire passer l'agriculture biologique d'une obligation de moyen à une obligation de résultat. Aujourd'hui, nous nous engageons sur les moyens : cultiver sans aucun pesticide de synthèse ni OGM. Nous ne pouvons pas nous engager sur les résultats car nous subissons des pollutions environnementales.
Quel mécanisme est en discussion ?
Il est question de fixer un seuil de contamination en pesticides au delà duquel les produits bio seraient déclassés. Mais instaurer un seuil, c'est se concentrer sur le résultat et non sur les pratiques agricoles. Et à quel niveau le fixer ? Trois pays ont déjà fixé des seuils mais à cinq ou six fois la limite de détectabilité des pesticides. Si le seuil est très bas, cela revient à rendre impossible l'agriculture biologique à moins de protéger les cultures bio des cultures conventionnelles et des autres sources de pollution. Mais comment ? On trouve des pesticides aujourd'hui dans l'air et dans l'eau, y compris l'eau de pluie.
Quelle est la demande de la FNAB ?
La FNAB n'est pas opposée à ce que l'on fixe un seuil et que l'on déclasse les produits. A la condition que les producteurs bio soient indemnisés des pollutions dont ils ne sont pas à l'origine. Des entreprises pourraient être mises en péril par une perte de chiffre d'affaires alors que tout ce qui devait être fait pour produire en bio aurait été mis en oeuvre. Il faut appliquer le principe pollueur/payeur. Nous proposons une taxe spécifique sur les pesticides de synthèse pour abonder un fonds qui assumera les indemnisations. Nous demandons également que la Commission européenne prenne des mesures pour mieux protéger les cultures bio des cultures conventionnelles voisines.
Quelle est la situation aujourd'hui ?
Aujourd'hui, tous les agriculteurs biologiques sont contrôlés une fois par an minimum sur leur exploitation -locaux, cultures, documents- pour vérifier qu'ils respectent leurs engagements. Il y a également prélèvement d'échantillons et analyses. Si une fraude est détectée, les productions et la ferme elle-même sont déclassées. C'est le mode de production le plus contrôlé. Nous tenons à ce que ces contrôles soient maintenus.
Pensez-vous que les fermes mixtes bio et non bio offrent les mêmes garanties ?
La mixité peut s'expliquer lors d'une transition engagée vers la bio, on peut convertir d'abord une partie des terres seulement. Mais au bout de quelques années, la mixité n'a plus de raison d'être. On estime que dix ans sont suffisants pour passer définitivement en bio et nous demandons que le règlement n'autorise pas la mixité plus longtemps. Nous tenons à ce que l'agriculture biologique reste une garantie pour les consommateurs.
Propos recueillis par Anne-Françoise Roger pour Bioaddict.fr