Sur Pluton, une « lampe à lave cosmique » dans la plaine Spoutnik

Publié le 03 juin 2016 par Pyxmalion @pyxmalion

Qu’est-ce qui fait battre le cœur de Pluton, notamment sa moitié gauche la plaine Spoutnik dont la surface est très jeune, géologiquement parlant ? Des cellules de convection de glace d’azote qui lentement, à raison de 2 cm par an, refaçonnent cette partie de la planète naine située au-delà de l’orbite de Neptune.

Qui l’aurait cru il y a encore quelques années : Pluton arbore une des plus jeunes surfaces du Système solaire. Comme nous l’a révélé, non sans stupéfaction, la visite de New Horizons (la première à un objet de la ceinture de Kuiper), le 14 juillet 2015, l’ex-neuvième planète a un visage bariolé et taché qui témoigne d’activités géologiques récentes.

C’est sans conteste la moitié droite du cœur, une plaine baptisée Spoutnik, datée de moins de 10 millions d’années (ce qui est relativement récent pour un astre né il y a quatre milliards et demi d’années), qui est la région la plus dynamique. Comme nous l’avons vu ces derniers mois, au fil des transferts de données de New Horizons, des formations polygonales composées de glace d’azote nappent cette étendue de quelque 900.000 km2 – soit autant que la France et le Royaume-Uni réunis. À la croisée de ces structures, les images en haute résolution ont montré des jonctions en forme de X et de Y et aussi de véritables icebergs…, sans doute des montagnes (de glace d’eau sur Pluton, et non de roches) arrachées aux rivages.

Pour expliquer ces phénomènes et le resurfaçage de cette tache claire, des membres de l’équipe scientifique de la mission avaient émis l’hypothèse il y a quelque temps que cela puisse fonctionner en interne comme une lampe à lave. Deux études qui viennent de paraître dans Nature renforcent ce scénario et y apportent quelques précisions.

« Pour la première fois, nous pouvons déterminer ce que sont vraiment ces étranges zébrures sur la surface glacée de Pluton, a déclaré le principal auteur de l’une des deux enquêtes (à voir ici), William B. McKinnon, de l’université de Washington à Saint-Louis, et aussi membre de l’équipe scientifique de New Horizons. Nous avons trouvé des preuves que même sur une planète froide située à plusieurs milliards de kilomètres de la Terre, il y a suffisamment d’énergie pour une activité géologique vigoureuse, aussi longtemps que vous avez “’l’étoffe”’, ce qui signifie quelque chose d’aussi doux et souple que de l’azote solide. »

Une portion large de 400 km de la plaine Spoutnik imagée avec Ralph/MVIC (Multispectral Visible Imaging Camera), le 14 juillet 2015. À gauche, les montagnes de glace d’eau bordant la vaste étendue nappée de glace d’azote. On y distingue la forme bombée des cellules de convection — Crédit : NASA, JHUAPL, SwRI

Un cœur qui bat au rythme des lentes convections de cellules d’azote

Au moyen de simulations informatiques recoupées avec les données sur la surface collectées par la sonde spatiale, les deux équipes ont chacune de leur côté montré que les structures observées sont probablement des cellules de glace d’azote qui, par une lente (très lente) convection thermique, remontent vers la surface puis replongent doucement, en s’écoulant par les bords. Leur vitesse d’expansion est estimée à 2 cm par an au maximum, ce qui équivaut la croissance de nos ongles. À ce rythme-là, une cellule peut être totalement renouvelée en un demi-million d’années. Un temps court à l’échelle géologique.

Les modèles indiquent également qu’elles peuvent évoluer et fusionner avec d’autres en l’espace de quelques millions d’années. Certaines bordures qui se touchent se retrouveraient abandonnées, ce qui produit les jonctions sombres en forme de X. Sous la surface, les cellules sont vraisemblablement larges et ne s’enfoncent pas très profondément, pas plus de quelques kilomètres, selon les chercheurs. Spoutnik est probablement un ancien bassin d’impact, qui s’est rempli de glace d’azote. Aux températures très basses de Pluton, sa viscosité la distingue de l’eau solide qui forme le substrat de la planète naine. Des blocs de glace, véritables icebergs, se retrouvent ainsi emportés par les courants de glace d’azote. « Si cela est vrai, explique Alex Trowbridge, jeune diplômé de l’université de Purdue, et coauteur de l’une des deux études, nous pouvons alors calculer la profondeur dont le bassin aurait besoin pour que les icebergs flottent librement sans toucher le fond. » Idem avec les cellules de convection, en utilisant le rapport entre leur largeur et leur profondeur. De cette façon, l’équipe de Jay Melosh, professeur distingué de sciences terrestres, atmosphériques et planétaires à Purdue, Indiana, a obtenu une profondeur de 5 km en se référant aux icebergs et 10 km, avec un calcul se basant sur les cellules visqueuses d’azote.