Le 23 mai dernier, Leclerc a dégainé son label nutritionnel baptisé « Nutri Mark », dont il a même déposé le nom. Basé sur un système d’étoiles (de 0,5 à cinq), il est calculé en fonction de la teneur en énergie, matières grasses, etc., et des repères journaliers français. En test sur une centaine de drive jusqu’en septembre, il est apposé uniquement sur les produits MDD soit 2700 codes. Si les résultats s’avèrent concluant, Leclerc espère convaincre les industriels de l’adopter.
Le label Nutri Mark de Leclerc, réservé aux produits MDD et au site Drive, s’appuie sur un système de notation à étoiles de 10 niveaux.
Un test grandeur nature à 1,6 million d’euros
Et ce n’est pas gagné. L’initiative de Leclerc fait grincer des dents du côté des pouvoirs publics, qui s’apprêtent eux aussi tester pendant trois mois (de septembre à décembre 2016) quatre logos du même genre. « 50 magasins seront tirés au sort dans les prochaines semaines », nous explique-t-on au cabinet de la ministre de la Santé Marisol Touraine. Une expérimentation qui coutera quand même la bagatelle de 1,6 million d’euros au bas mot (une « rallonge » sera éventuellement débloquée « en fonction des besoins »). Certes, ces logos sont destinés à être apposés sur les emballages, alors que le Nutri Mark de Leclerc est lui pour l’instant réservé au site Drive. Mais il risque de rajouter à la confusion ambiante. D’autant plus que ce n’est pas le premier distributeur à faire cavalier seul. Carrefour s’était déjà plié à l’exercice en 2014 en lançant son propre étiquetage, avec un logo distinguant quatre classes de produits avec une recommandation sur la fréquence de consommation (une fois par jour, de temps en temps, etc). Devant les réactions négatives, l’enseigne avait du remballer son logo tout en annonçant continuer à réfléchir « à un système plus compréhensible ».
Faciliter les meilleurs choix… vraiment ?
Car c’est bien l’objectif du gouvernement avec ce futur étiquetage : « faciliter le choix d’achat du consommateur au regard de la composition nutritionnelle des produits ». Il est vrai qu’aujourd’hui, entre allégations « 100% pur boeuf », « riche en calcium », « allégé en sucres », etc., il est difficile de s’y retrouver. A moins d’aller lire le détail de chaque étiquette, ce que ne fait pas évidemment la majorité des gens. Le label qui tient la corde (préconisé par le PNNS, programme national nutrition santé), le Nutri-Score, s’inspire de celui en vigueur au Royaume-Uni, avec des pastilles de couleur et une note de A à E. Il prend en compte 5 critères, comme la valeur calorique, la teneur en acides gras saturés ou en sucres. Dans son numéro de mars 2015, le magazine Que Choisir avait passé au crible des dizaines de produits pour les classer selon le code couleur. Les résultats attribuaient sans surprise une pastille verte aux haricots en boîte et une rouge aux biscuits BN au chocolat. Mais pour certains produits de la même catégorie, la comparaison s’avère plus intéressante. Les rillettes de thon U sont ainsi notées A (vert) quand le tarama de la même marque récolte la moins bonne note (rouge).
Quatre labels seront testés dans 50 magasins tirés au sort (hors hypermarchés) de septembre à décembre 2016.
Des effets pervers
L’Ania (Association nationale des industries alimentaires) est vent debout contre cette notation qu’elle juge « simpliste » et « partielle ». Elle s’inquiète en particulier d’une discrimination des produits étiquetés rouges. Or les frites ne sont pas systématiquement à bannir de l’alimentation, pour peu que l’on n’en avale pas à tous les repas. Les experts sont d’ailleurs eux-mêmes divisés. « Certes, un label c’est mieux que rien du tout », concède la nutritionniste Béatrice de Reynal. Mais elle met en garde contre « des réactions inadaptées ». « Ce n’est pas parce qu’un aliment est noté vert qu’on peut en manger à volonté. Même si une salade de carottes peut vous rendre malade si vous en consommez 500 grammes tous les jours. L’alimentation est une question d’équilibre : il faut manger de tout, mais en petites quantités. » Pour elle, les messages basiques comme « 5 fruits et légumes par jour » ou « 3 produits laitiers par jour » sont plus pertinents.
Une confusion monumentale à venir
Que ce soit le Nutri-Score ou le Nutri Mark de Leclerc, la vertu pédagogique risque d’être limitée. Côté Nutri-Score, l’étiquetage restera une démarche purement volontaire pour les fabricants, la règlementation européenne interdisant de le rendre obligatoire. D’autre part, seront exclus du système « officiel » les boissons, le matières grasses brutes (beurre, margarine…) et les fromages. Leclerc se cantonne lui à ses MDD, et il est peu probable que les marques s’engouffrent dans son initiative, alors qu’elles auront déjà à se dépêtrer avec le logo à couleurs. Mais Leclerc n’en démord pas et fait valoir que son Nutri Mark est une évaluation plus complète, puisqu’elle est basée sur 10 critères différents (contre 5 pour les Nutri-Score) et calculée avec un algorithme librement accessible aux mathématiciens, s’entend, car si vous souhaitez le calculer vous mêmes, bon courage).
Résumons : vous avez le choix entre un paquet de céréales Leclerc noté 2,5 étoiles au Nutri Mark et un autre de marque Nesquik noté C au Nutri-Score. Lequel prenez-vous ? Vous n’avez toujours rien compris ?
On peut tout de même espérer que ces logos inciteront les marques à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits, avec des biscuits moins riches en sucre ou des plats cuisinés plus riches en légumes. Aux Pays-Bas, dans les trois ans qui ont suivi l’apparition d’un logo, 168 références ont été reformulées, note Que Choisir. Dommage qu’il faille pour cela dépenser autant d’argent public en permettant au passage aux distributeurs de se donner bonne conscience.