Au moment où la question du Brexit agite les esprits (j'en parlerai prochainement), peu nombreux sont ceux qui soulèvent le problème de la segmentation des marchés financiers à l'intérieur de la zone euro. Et pourtant, cette situation à des conséquences majeures sur l'économie européenne et sur la pérennité de la monnaie unique...
Qu'appelle-t-on segmentation des marchés financiers ?
Comme je l'explique dans mon nouveau livre Les grands mécanismes de l'économie en clair (2e édition), la segmentation des marchés financiers dans la zone euro signifie que les capitaux privés circulent mal, voire pas du tout, entre les différents pays membres. Les marchés financiers sont donc segmentés par pays.
À quoi voit-on la segmentation des marchés ?
On peut affirmer qu'il y a segmentation des marchés financiers au sein de la zone euro depuis 2008 pour plusieurs raisons :
* la détention de dettes publiques par les banques reste essentiellement domestique, c'est-à-dire que ces dernières logent dans leur portefeuille surtout des titres de dette de leur pays
[ Source : Natixis ]
* les balances TARGET 2 restent importantes, ce qui équivaut à dire que les marchés interbancaires des pays de la zone euro sont désolidarisés
[ Source : BNP Paribas ]
* les taux d'intérêt sur la dette publique ont beaucoup divergé avant l'intervention de la BCE (quantitative easing)
[ Source : Natixis ]
Quelles sont les conséquences d'une telle segmentation ?
Une telle segmentation des marchés de capitaux rend la zone euro inefficace sur le plan économique, en ce sens qu'elle empêche l'épargne de s'investir dans les projets les plus rentables. Or, qui se souvient encore qu'il s'agissait là de la première raison qui présidait à la création de la monnaie unique ? Pour ceux que la technique intéresse, je fais ici référence aux critères de Mundell sur la pertinence et l'efficacité d'une union monétaire.
Bref, je suis en train de vous expliquer que la zone euro ne fonctionne plus ! Ce ne sera pas une surprise pour les lecteurs réguliers de ce blog, puisque j'ai déjà souvent expliqué les problèmes insolubles auxquels la zone euro fait face (liste loin d'être exhaustive) :
* croissance et emploi en berne,
* politiques d'austérité dont l'échec est patent,
* absence de coordination et de volonté fédérale,
* mise en place d'une usine à gaz pour contrôler les banques,
* utilisation de solutions non-démocratiques pour résoudre les crises, en particulier en Grèce
* tolérance excessive à l'égard des déséquilibres macroéconomiques des uns et sanctions très lourdes contre les autres.
Pour en revenir à notre sujet, la segmentation des marchés financiers conduit à une divergence inévitable des taux d'intérêt à long terme des pays de la zone euro. Depis peu, comme le montre parfaitement le dernier graphique ci-dessus, les taux d'intérêt ont recommencé à converger à la faveur de l'action vigoureuse de la BCE (quantitative easing).
Mais dès que ce puissant aiguillon s'estompera en 2017 ou 2018, on peut craindre le pire d'autant que les économies européennes sont indubitablement très hétérogènes. À moins que l'on ne condamne la BCE à jouer les Sisyphe ad vitam aeternam, i.e. à poursuivre indéfiniment sa politique de rachat des dettes publiques afin d'en faire baisser les taux.
Une autre conséquence de la segmentation des marchés financiers, est qu'elle empêche de corriger l'excès d'épargne de l'Allemagne la zone euro et donc de relancer l'économie. En effet, à défaut d'espérer une improbable union fédérale avec transferts obligatoires ou un plan massif de relance en Allemagne, on ne peut amorcer de reprise durable de la zone euro qu'à la condition expresse d'investir l'excédent extérieur allemand dans le reste de la zone euro et non dans le Caucase...
Mais comment fait-on si la circulation des capitaux est quasi inexistante dans la zone euro, c'est-à-dire que les marchés financiers sont segmentés ?