[Review] Spider-Woman, par Hopeless et Rodriguez

Par Cosmos @midnight_peanut

Spider-Woman semble être un personnage dont on entend plus parler pour les polémiques qui l’accompagnent (la fameuse couverture de Manara en août 2014, puis l’annonce controversée de sa grossesse en juin 2015) que pour les qualités de sa série ou pour sa personnalité. ET C’EST UNE TRAGÉDIE, car son titre solo est l’un de mes préférés chez Marvel actuellement, avec les aventures d’une certaine fille écureuil. Retour sur une héroïne et une série injustement méconnues.

Ce qu’il faut savoir sur Jessica Drew AKA Spider-Woman

Jessica développa des pouvoirs suite à une expérience de son père lorsqu’elle était petite, puis fut recueillie et formée à l’espionnage et au combat par l’HYDRA. Des années plus tard, elle réalisa cependant qu’elle n’était pas vraiment dans le camp des gentils… Avance rapide jusqu’en 2005, où le scénariste Brian Bendis la sortit de l’oubli dans lequel elle était tombée : alors qu’elle travaillait comme détective privée, elle fut invitée à rejoindre les prestigieux New Avengers.

A ce moment-là, Jessica Drew était agent double pour le S.H.I.E.L.D. et l’HYDRA, tout en répondant secrètement à Nick Fury. Quelque temps plus tard, on découvrit que la reine des Skrulls (un peuple d’aliens métamorphes) avait pris sa place depuis longtemps pour préparer leur invasion de la Terre. La raison ? Selon leurs observations, personne ne se souciait suffisamment d’elle pour remarquer la substitution.

La vraie Jessica fut retrouvée par la suite, mais le mal était fait : dans son esprit, elle était l’imposteur. Certes, son statut d’agent double, d’ex-espionne etc. avait toujours suscité un peu de méfiance, mais à présent son visage était en plus associé à celui de l’ennemi. Pendant tout le run de Bendis sur New Avengers, Spider-Woman souffrit donc d’un énorme sentiment d’imposture : méritait-elle vraiment sa place au sein de l’équipe ? hormis sa meilleure amie Carol Danvers, ses collègues lui faisaient-ils vraiment confiance ?

Les choses commencèrent à changer avec l’arrivée de Kelly Sue DeConnick sur le titre Avengers Assemble, qui aurait presque pu s’appeler Spider-Woman Team-Up. Alors qu’elle avait largement mérité son titre d’Avenger, elle servit notamment de mentor à la jeune Anya Corazon AKA Spider-Girl et commença à développer une amitié avec Black Widow. Suite à une rencontre avec son double d’une autre dimension pendant les événements de Spider-Verse, elle réalisa cependant qu’elle souhaitait renouer avec une vie plus normale et reprendre une activité de détective privée. C’est sur ce nouveau statu quo que s’ouvre le run de Dennis Hopeless et Javier Rodriguez sur Spider-Woman, dont il est question dans cet article !

(Là vous vous dites peut-être que 4 paragraphes de résumé des épisodes précédents, c’est bien la preuve qu’on ne comprend rien aux super-héros si on n’a pas tout lu depuis le début, mais pas de panique : ces informations sont récapitulées en début de tome ou de chapitre, et ce run est pensé pour être accessible aux débutant•e•s).

Comment redevenir une héroïne urbaine

Au début de cette nouvelle page de son histoire, Jessica fait rapidement équipe avec le journaliste Ben Urich, qui lui soumet un cas de disparition d’épouses de super-vilains. Où sont passées ces femmes et leurs enfants ? Ont-elles été enlevées, ont-elles souhaité disparaître ? Roger Gocking AKA Porcupine, un vilain de troisième catégorie dont la famille a disparu, ne tarde pas à enquêter avec eux, au grand dam de Jessica.

Suite à une ellipse temporelle de huit mois (la fin du monde s’est produite entre-temps, un truc comme ça, mais rien ne meurt jamais longtemps chez les super-héros), on découvre ensuite une Jessica sur le point de partir en congé maternité. Alors qu’elle pensait ne jamais vouloir d’enfant, elle va devoir concilier sa vie de mère célibataire avec son activité super-héroïque.

Avec Spider-Woman, le scénariste Dennis Hopeless confirme une approche résolument orientée personnage. Certes, il y a de l’action, des rebondissements et des révélations comme dans tout titre de super-héros, mais les arcs sont courts et vont à l’essentiel, et surtout on sent que chaque péripétie est choisie pour poser un challenge précis à Jessica et la faire évoluer sur le plan personnel. Elle trouve une zone de confort pendant environ 3 secondes à chaque fois, avant qu’un problème l’oblige à changer ses habitudes et réapprendre les choses, sans perdre son identité au passage. Surmonter son syndrome de l’imposteur pour enseigner le super-héroïsme à des recrues enthousiastes mais bien maladroites. Résister à la tentation de foncer tête baissée car elle porte un enfant qui est désormais sa priorité. Et enfin retrouver des raisons de risquer sa vie jour après jour quand elle risque de faire un orphelin.

En somme, il est beaucoup question de confiance : celle qu’on accorde aux autres quand on arrive à un stade où on ne peut plus tout faire soi-même, mais aussi la confiance en soi, nécessaire pour avancer.

L’humour, marque de fabrique du scénariste et du personnage, suit d’ailleurs une belle évolution. Au tout début, Jessica s’en sert beaucoup pour masquer ses insécurités et donne volontiers dans le sarcasme. Mais au fur et à mesure des chapitres, lorsque ses relations s’améliorent avec son entourage, il devient de plus en plus bienveillant. Son amitié avec Carol Danvers n’est d’ailleurs pas oubliée, et est l’un des points forts de l’arc actuel.

I never wanted children. Not even a little.

What can I say? Things change.

Tout le passage sur sa grossesse sonne également très juste, mais ce n’est pas une surprise quand on sait que le scénariste et sa femme sont jeunes parents, et que cette dernière a largement été consultée pour son point de vue de mère (en fait, toute l’équipe créative est composée de parents). Un peu comme dans Saga, les auteurs nous font ressentir ce que ça fait d’être parent et de voir sa vie changer, dans les joies comme dans les frustrations.

Pregnancy has been an exercice in giving things up. Not just alcohol and tight-at-the-ankle boots. A lot of other things, too. Little things. Things that make me me.

On peut rechercher dans la fiction un écho à notre propre vécu, des personnages à qui s’identifier, un moyen de réaliser nos souhaits parfois, mais elle nous permet aussi de voir la vie à travers les yeux d’un•e autre. Et pour moi c’est ce que fait précisément Spider-Woman : je n’aurai jamais d’enfant donc cet aspect de la vie de Jessica m’est complètement étranger, mais il est tellement bien retranscrit que je peux facilement la comprendre.

Quant aux dessins… c’est simple, on a l’impression qu’à chaque chapitre, à chaque planche parfois, Javier Rodriguez se dit : « bon, comment vais-je m’y prendre cette fois-ci pour que la lecture soit la plus stimulante possible ? » Avec un style qui rappelle parfois Marcos Martín ou Javier Pulido (c’est-à-dire tout l’inverse de ce à quoi on s’attend quand on pense « super-héros »), l’artiste n’a de cesse de proposer des découpages surprenants, des petits clins d’œil en fond de case et, on peut bien le dire, des idées géniales. Mais sans jamais sacrifier la clarté de la narration, et toujours avec des personnages variés, immédiatement reconnaissables. Et quand il ne colorise pas ses planches lui-même, c’est Rachelle Rosenberg qui le remplace, pour un résultat toujours superbe et cohérent (mention spéciale au chapitre #8 à peine sorti, et ses magnifiques ambiances nocturnes de ville sous la pluie, éclairée par des lumières artificielles).

Dans Spider-Woman, Dennis Hopeless apporte donc son sens de l’humour et de l’humain, que Javier Rodriguez met en image dans des compositions épatantes mais toujours claires. Tout en respectant la personnalité et le parcours de Spider-Woman, les auteurs l’emmènent encore plus loin en faisant la somme de leurs identités et de leurs vécus. Le résultat est à la fois cohérent, authentique, personnel… en deux mots : vraiment enthousiasmant.


Trois tomes sont actuellement disponibles en VO mais comme un relaunch est arrivé entre-temps, leur ordre n’est pas immédiatement évident.

Spider-Verse est techniquement le premier tome de la série, avec Dennis Hopeless au scénario et Greg Land au dessin. Mais comme il se déroule pendant un event, il n’est pas le plus simple à comprendre. New Duds, qui marque l’arrivée de Javier Rodriguez sur le titre, est clairement pensé pour être le « vrai » début des aventures solo de Jessica et c’est par celui-ci que je conseille de commencer (quitte à lire Spider-Verse après si on veut connaître les circonstances qui ont amené Jessica à démissionner des Avengers). Enfin, Baby Talk se déroule après le bond dans le temps dû à Secret Wars et nous raconte la fin de sa grossesse, son accouchement et le début de sa nouvelle vie de maman.