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Mes nouveaux yeux

Publié le 02 juin 2016 par Tetue @tetue

Retour sur mon opération de la myopie : c'est bien plus flippant que douloureux, mais j'apprécie ma nouvelle vie !

Très myope, cela faisait des années que j'hésitais, refroidie par le témoignage d'une personne ayant perdu un œil après une telle opération, à une époque où les techniques étaient moins rodées. Mais après quantité de témoignages de patientes ravies [*], je me décide.

Je choisis néanmoins la méthode la plus fiable, dite « laser PKR » [1], pratiquée depuis plus de 30 ans, avec très peu de ratages, stable dans la durée. C'est aussi la plus douloureuse, puisqu'elle consiste à abraser la surface de la cornée. La douleur physique n'est pas ce qui m'effraie. Elle est surmontable. Il suffit de s'y préparer. Et ça me fait toujours moins peur que de perdre la vue.

Je suis très myope depuis l'enfance. Sans m'illusionner sur le résultat — faut pas rêver, je n'aurais jamais une vue parfaite, même corrigée — j'aimerais retrouver une certaine autonomie visuelle et le confort corporel associé.

Opérée en quelques secondes !

L'intervention est extrêmement rapide et totalement indolore. Par contre, elle est terrifiante. En effet, la patiente [*], qui reste éveillée car sa coopération est nécessaire, voit tout. Je ne vous raconterais pas car je refuse de m'en souvenir !

En quelques secondes ma myopie est résorbée. Du moins en grande partie, car trop forte, elle ne peut être entièrement corrigée. C'est aussi volontaire car c'est un avantage, lorsque la presbytie se déclare, parce que la myopie facilite la vision de près. Mon chirurgien a fait des calculs savants pour calibrer son intervention de façon à m'apporter le meilleur confort pour les années à venir.

Affronter la douleur post-opératoire

Je rentre chez moi aussitôt pour affronter la fin de l'anesthésie. J'ai tout préparé pour la cicatrisation, qui va durer quelques jours, sans rien voir, dans le noir : volets fermés pour me protéger de la lumière, meubles poussés pour m'éviter d'y butter à tâtons et nourriture préparée, bien rangée, facile à attraper, sous forme de bouchées prêtes à être avalées telles quelles — dont des chamallows qui me rappellent la tendresse distribuée par Sophie à Paris Web —, sans oublier des alarmes programmées pour l'application régulière des collyres post-opératoires. En réaction à l'intervention, mes yeux gonflent et ne peuvent bientôt plus s'ouvrir, tandis qu'assommée, je somnole.

Les premières 48 heures sont atroces. La douleur me réveille soudain et s'intensifie malgré les cachets jusqu'à dépasser le seuil du supportable. Je me rue sur les ampoules de morphine, mais je continue de souffrir entre chaque prise, perdant la notion du jour et de la nuit, ne sachant si je suis endormie ou éveillée, perdue dans un tunnel de douleur qui annihile toute pensée, zombie…

Puis la douleur s'estompe et je reprends conscience, soulagée, ravie d'avoir surmonté cette épreuve. C'est un soir, la nuit s'apprête à tomber… je sens que je vais pouvoir dormir et enfin me reposer. Il m'est toujours difficile d'ouvrir les yeux, mais je parviens à faire les gestes nécessaires pour m'alimenter et me soigner. Ils dégonflent le lendemain, peu à peu, mais restent sensibles au contact, lorsque je me lave le visage.

Maintenant que la douleur est passée, je confirme : plus de peur que de mal. C'est une opération bien plus flippante que douloureuse : c'est dire combien elle est flippante ! en tout cas pour moi. Le plus difficile après la prise de décision était de persévérer jusque dans le bloc opératoire sans m'enfuir en courant comme me l'ordonnait mon instinct.

Attendre que la vue revienne…

Les jours suivants, privée de la vue, je m'ennuie beaucoup. J'écoute la radio et discute au téléphone, grâce à Siri, la synthèse vocale de l'iPhone, dont je serais incapable de me servir sinon. Entre nous, s'il m'a sauvée en me permettant de communiquer, en me donnant l'heure et la date du jour, que je ne pouvais connaître autrement, et même en m'amusant avec son humour absurde. Un peu moins marrant, quand sa francophonie obstinée lui fait chercher « Michael Gros heure » ou « quel amical brassard » quand je lui demande de me jouer les « Chemical Brothers » ! Des ami·e·s passent et me réconfortent, avec des fleurs et des gourmandises, car je n'ai perdu ni le goût ni l'odorat.

  • Je me prépare…
  • Je suis prête !
  • Ça va mieux

Toujours trop sensible à la lumière, je ne quitte pas les lunettes de soleil dont j'ai fait l'acquisition pour l'occasion, les choisissant, pour la première fois de ma vie, puisqu'elles ne sont pas correctives, sur un de ces tourniquets où elles pullulent dans les magasins de mode, yihou !

Sortir est une expédition. Mon prochain rendez-vous médical est noté sur un papier… que je ne peux plus lire ! J'en prends donc une photo, à l'aveugle, que j'envoie à une amie pour qu'elle me le lise en retour. Dans la rue, il me faut tenir le bras. La ville est complètement floue…

La visite de contrôle post-opératoire, pour le retrait de la lentille pansement [2], confirme que tout s'est bien passé et que la cicatrisation, qui va prendre encore quelques temps, est bonne. Pour la faciliter, je dois appliquer une pommade sur les yeux. Non, pas sur la paupière, mais bien directement sur l'œil. Et je peux reprendre le travail. Et même aller à la piscine.

De retour au bureau, je constate que ne parviens pas à me servir de l'ordinateur : même en agrandissant les caractères, même avec une loupe d'écran, je n'arrive pas à lire. En fait, le médecin m'autorise à reprendre une vie normale, sans limitation aucune, sauf que je n'y vois guère… Ma vue reviendra très progressivement, de façon imperceptible, jour après jour. C'est long.

Je reste plusieurs semaines en situation de handicap, malvoyante, utilisatrice des aides techniques que sont la synthèse vocale et la loupe d'écran, avec lesquelles, faute d'en être familière sans doute, je me débrouille assez mal, même si j'apprécie l'expérience, qui excite ma curiosité d'experte en accessibilité numérique.

Nouvelle vie sans lunettes

Depuis l'opération, je ne porte plus de lunettes. Du tout. J'ai perdu le réflexe de tendre la main au réveil pour tâtonner jusqu'à les trouver. Alors que c'était, depuis tant et tant d'années, mon premier geste, chaque matin, avant même d'ouvrir les yeux, j'en ai perdu l'habitude du jour au lendemain. Par contre, j'ai toujours le réflexe d'ôter mes lunettes, pourtant absentes, avant de me coucher ou d'entrer dans la douche.

Je n'éprouve pas l'immense plaisir annoncé de ne plus porter de lunettes. Je suis satisfaite de l'expérience vécue, dans tous ses aspects, y compris les plus douloureux, mais perplexe quant au résultat, ne partageant pas l'enthousiasme de mon chirurgien. Ma vue revient si progressivement que je me lasse d'attendre et m'habitue à son imperfection.

Deux mois plus tard, ma vue est suffisamment stabilisée et une nouvelle correction, facultative, m'est prescrite, pour la vision de loin. J'ai à nouveau des lunettes, que je ne porte pas. Je suis encore un peu myope, mais tellement moins qu'avant, que ça ne me gêne pas. J'apprécie même ce léger flou à distance, qui me repose les yeux et confère une certaine douceur au monde qui m'environne. Et c'est incroyable comme j'ai vite perdu l'habitude de porter des lunettes ! Après plus de 30 ans de port continu, au point d'être constitutif de mon identité, il n'a fallu que quelques semaines pour me déshabituer. Lorsque je rechausse mes lunettes, je suis gênée : alors que c'était mon quotidien jusqu'il y a encore peu, si bien que je ne m'en rendais plus compte, voici que je ne supporte plus que la monture réduise mon champ de vision !

Dans les mois qui suivent, j'essaye tout ce que j'avais l'intention de vivre avec une bonne vue : retourner à la piscine sans me cogner aux nageurs ni au bord, faire l'amour en voyant enfin mon partenaire, crapahuter en toute liberté… Le pied ! sauf pour ce dernier : en pleine nature, j'ai besoin de lunettes de vue, tant pour apprécier les paysages lointains que pour assurer mon pas dans les sentiers escarpés. Contrairement à ce que j'espérais, peut-être à tort, ça ne résout pas mon vertige des hauteurs. Et contrairement à ce que je craignais, ce n'est pas la luminosité du soleil qui me gêne le plus, du moins pas plus qu'auparavant.

Avec ou sans lunettes ?

En randonnée, c'est même pire qu'avant : je ne cesse de devoir adapter, pour la vision de près (des cartes), la vision de loin (des paysages) et la luminosité, de devoir lâcher les bâtons, au risque de perdre l'équilibre dans une pente abrupte, pour mettre ou retirer ces fichues lunettes, solaires ou de vue, qui m'embêtent vraiment. J'espère trouver une paire de lunettes sportives qui gère tout cela, en une seule monture, même si je doute que ça existe.

De retour de vacances, j'ai même l'impression d'y voir moins bien, comme si ma petite myopie résiduelle s'était renforcée. Que nenni. Il y a vraiment une différence entre les chiffres de mesure de la myopie, stabilisés dans mon cas, et le ressenti, le vécu que l'on a de sa vue, qui varie encore pour moi. C'est vraisemblablement une question d'habitude à prendre.

Je porte donc mes lunettes, ou pas, selon le besoin. C'est mon entourage qui n'y comprend plus rien : « mais… tu portes encore des lunettes ! Ton opération a échoué ? » Non, il était prévu que je garde une petite myopie. Certains s'étonnent de ma physionomie, ne la reconnaissant plus sans lunettes : « tes yeux ont changé de couleur, non ? » et « ça te fait de gros yeux… » puisqu'effectivement, les lunettes font des yeux rabougris aux myopes. Je n'avais pas anticipé que ce changement puisse affecter mon entourage finalement plus que moi-même.

Et soudain, j'ai une crise identitaire : je ne me reconnais plus dans le miroir. Dans la salle de bain, sous la douche, je vois désormais mon corps, net alors qu'il avait toujours été flou. C'est nouveau pour moi. Et plutôt bizarre. Je ne suis pas habituée à vivre avec mon reflet. Pendant plusieurs mois, je me cherche. Je ne demande si je ne devrais pas épiler ces sourcils et maquiller ces yeux que je ne voyais pas, cachés qu'ils étaient jusqu'alors par des montures… Puis je m'habitue. Et n'y pense plus.

Un an plus tard : plouf !

Un an plus tard, je maugrée contre ces lunettes optionnelles, que je ne cesse d'oublier : au bureau, chez moi, dans un sac, chez quelqu'un… et même sur ma tête ou mon nez, ne sachant jamais, puisque je n'en ai pas besoin en continu, si je les porte ou pas. Avec ma forte myopie, c'était effectivement plus simple avant où, les portant sans discontinuer, je n'y prêtais plus attention. Et sans doute qu'une presbytie naissante, que je refuse de m'avouer, est la cause réelle de mon désagrément. Un conseil : n'attendez pas comme moi et n'hésitez pas à faire cette opération dans un plus jeune âge, pour en avoir plus long bénéfice.

En reconsidérant l'année qui vient de s'écouler depuis l'opération, je me rends compte que je suis bien plus sportive qu'auparavant, n'hésitant plus à me jeter à l'eau, au sens propre : piscine, kayak, canyoning et rataplouf, avec grand bonheur. Comme si porter des lunettes avait jusqu'alors bridé mon activité physique… Je passe moins de temps sur l'ordi, ni chez moi : je trépigne, j'ai besoin de bouger, de sortir, de pagayer, de danser, de regarder au loin, de grimper, de plonger, d'aller voir ailleurs, de marcher, de chahuter…


[*] J'accorde au féminin car les femmes sont bien plus nombreuses à en avoir le courage que les hommes.

[1] Il existe plusieurs techniques de chirurgie réfractive au laser. La plus pratiquée, dite « Lasik » est indolore avec récupération quasi immédiate d'une vision correcte, contrairement à celle dont je témoigne ici, dite « laser PKR ».

[2] Sans effet sur la vue, la lentille pansement est posée à la fin de l'intervention chirurgicale pour améliorer la cicatrisation.


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