Il y a longtemps déjà (trois ans), nous avions eu la joie de rencontrer John Chappuis qui nous avait parlé de son métier de guitariste et de luthiste. Parmi ses nombreux instruments à cordes pincées figure le théorbe. C’est le plus grand d’entre eux. Découvrons-le aujourd’hui, au rythme d’un abécédaire, en deux parties pour ne pas imposer des articles trop longs à nos fidèles lecteurs.
A comme accord avalé : nous débutons cet abécédaire… par une difficulté ! Les cordes qui composent le théorbe ne sont pas placées dans un ordre harmonique croissant. C’est à dire que les deux dernières cordes sont plus graves que la troisième. Bon, pour notre esprit cartésien, cela ne semble absolument pas logique, en revanche, il paraît que cela facilite le jeu des notes conjointes.
B comme boyaux : les cordes du théorbe ont longtemps été fabriquées en boyau d’animal. De nos jours, elles sont couramment remplacées par du nylon, nu ou fileté (pour les cordes graves). L’avantage du nylon est qu’il est moins sensible à l’hygrométrie. Déjà qu’un théorbiste passe la moitié de son temps à accorder son instrument…
C comme caisse : la caisse du théorbe est en forme d’amande (nous pourrions aussi dire de demi-poire ou de tortue d’où la tortue-luth). Elle se différencie en cela de la caisse des guitares qui est plate. Certains luthiers se sont vraiment lâchés en construisant des caisses en bois de différentes couleurs, uniquement pour des raisons esthétiques.
D comme décor : le théorbe ravit les oreilles des auditeurs, mais aussi leurs yeux. En effet, c’est un très bel instrument. Certains sont richement décorés. On connaît ainsi des modèles rehaussés d’ivoire, de métal argenté, etc… L’objet lui-même est une véritable œuvre d’art.
E comme essence : plusieurs essences entrent dans la composition d’un théorbe, selon la fonction des pièces qui le composent. Il faut en effet que la caisse et la table puissent résonner, que le manche soit suffisamment solide et souple pour tenir les cordes tendues, que les chevilles puissent être manipulées facilement, etc. Dès l’origine de l’instrument, différents bois ont été utilisés : on sait qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, les luthiers le fabriquaient souvent en if, en érable ou en frêne ondé, et avec l’arrivée des essences exotiques, en ébène, en palissandre ou encore en amourette (le nom est joli, n’est-ce pas ? C’est un arbre sud-américain au bois moucheté, fort beau… et fort cher).
F comme frettes : les frettes sont les petites et fines pièces qui forment les touches sur le manche du théorbe et qui permettent de moduler le son, en raccourcissant ou en allongeant la longueur de la corde. Contrairement aux guitares actuelles qui portent des frettes métalliques, les frettes du théorbe peuvent être constituées de boyaux enserrés autour du manche (qu’on appelle des ligatures), ce qui permet d’ailleurs de les déplacer légèrement pour mieux s’accorder aux autres instruments (parfois un peu faux ou n’ayant pas le même tempérament).
G comme grave : hé oui, le théorbe est un instrument au son grave. Ce qui convient d’ailleurs à son utilisation comme instrument d’accompagnement (basse continue). Le théorbe se différencie du luth, justement par l’ajout de ces grandes et grosses cordes qui donnent des sons graves et puissants. C’est d’ailleurs là toute sa beauté.
H comme hauteur : les cordes graves forment le grand jeu et sont jouées à vide. C’est-à-dire, qu’elles ne sont pas pincées sur le manche. Elles vibrent plus longtemps et leur timbre est particulièrement riche, un peu comme une corde de harpe. Du même coup, il n’est pas possible de modifier leur accord : leur hauteur reste donc identique. Avant de jouer, l’instrumentiste doit accorder ces cordes en fonction de la tonalité de la pièce. Encore une chose simple…
I comme Italie : l’instrument est originaire d’Italie, sans doute du nord de la péninsule. Il y est né à la fin du XVIe siècle. On sait par exemple que pour son Orféo (1607), Monteverdi demandait la présence de Duoi Chitaroni : le chitarrone est un instrument très proche du théorbe, qui se confond parfois avec lui. Quant au mot théorbe, on retrouve sa trace dans un dictionnaire de 1598 (tiorba). En revanche, tant l’instrument que son nom n’apparaîtront en France qu’au milieu du XVIIe siècle.
J comme jeux : le théorbe possède deux chevillers formant le grand jeu et le petit jeu. Le petit jeu est semblable à celui du luth, les doubles cordes en moins (chœurs) : il comporte un nombre variable de cordes que l’on pince sur le manche, aux différentes touches – comme notre guitare moderne. En revanche, comme nous l’avons vu précédemment, le grand jeu est composé de cordes graves sonnant dans le vide. Le nombre total de cordes a varié au cours de l’histoire et des luthiers : beaucoup d’instruments en comptent 14, mais certains vont jusqu’à 19 cordes.
K comme Kapsberger : finissons cette première partie d’abécédaire du théorbe par une lettre peu usitée en français. Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651) est l’un des théorbistes les plus connus de son époque. Né à Venise d’une famille d’origine allemande, il passe sa carrière à Rome. Instrumentiste reconnu, il nous reste de lui de nombreuses compositions, de qualité inégale, mais qui témoignent de l’art des cordes pincées de cette époque.
Et maintenant, quelques extraits !
La suite au prochain numéro…