Les oeuvres de Paula Modersohn Becker exposées au Musée d’Art Moderne de Paris m’ont permis de découvrir une artiste dont j’ignorais tout jusqu’alors. Les quelques reproductions qui annoncent cette exposition m’ont attiré : visages extrêmement présents bien qu’à première vue inexpressifs, adresse des regards, et cette femme allongée avec un enfant…
N’ayant pour seule information que les indications dans l’exposition, j’ai avancé de toile en toile, en y décelant les influences, puis en percevant la personnalité artistique de cette jeune femme, comme si tout était dès le début dans sa peinture.
Le livre qu’a publié en mars 2015 Maïa Brami m’a ensuite permis d’entrer plus avant dans cette oeuvre particulière. Je me méfie toujours de la réduction d’une oeuvre à la biographie, mais peindre, sculpter ou écrire ne sont pas des actes isolés de la vie. Et celle de Paula Becker révèle une femme en quête de son identité profonde, femme, artiste, curieuse, animée d’un désir irrépressible de liberté.
En révélant l’accident dont l’enfant de dix ans est témoin, Maïa Brami donne sans doute une clé qui permet d’entrer dans l’oeuvre : la cousine de Paula meurt sous ses yeux, étouffée par une dune de sable. Je ne regarde plus de la même façon les visages d’enfants peints par l’artiste. Je saisis son intérêt pour les visages du Fayoum. Je perçois l’énergie vitale qui la soutient, énergie qui n’oublie jamais la mort toujours proche. Vivre, être elle-même, prendre des risques, oser partir seule à Paris, multiplier les rencontres d’autres artistes, apprendre, regarder, peindre, peindre, peindre. Et se prendre elle-même pour modèle, une audace pour une femme au début du XXe siècle !
Maïa Brami a construit son livre à partir du journal et de la correspondance de Paula Becker. Elle se tient donc au plus près des convictions, des préoccupations de l’artiste. Et, en particulier, du souci permanent de la couleur, couleur dont elle marque les évènements de sa vie : tangerine, turquoise… Ainsi se mêlent biographie et création artistique.
Le désir de maternité est également permanent dans les oeuvres, et Maïa Brami y est très sensible. Même si Paula et son amie Clara s’étaient juré de ne pas avoir d’enfant trop tôt pour pouvoir se consacrer à leur art, les tableaux représentant des femmes allaitant, celui où elle se peint elle-même, « le jour de (son) 5e anniversaire de mariage », les portraits d’enfants, tout montre ce désir. Son mari, Otto Modersohn, ne semble guère empressé, cerné lui aussi par la mort, celle de sa première épouse, celle de sa mère… Et il avoue ne pas comprendre cette jeune femme, ses tableaux, ses départs. Elle reviendra. Ce sera pour faire un enfant, une fille, et puis elle mourra, à 31 ans, vingt jours après l’accouchement, laissant des centaines d’oeuvres, peintures et dessins, dont la renommée va aller s’amplifiant.
Rainer Maria Rilke, le mari de Clara - deux personnes qu’elle a aimées - se lance dans l’écriture d’un roman, et compose pour elle un Requiem. La correspondance et le journal de Paula sont à leur tour publiés. Les expositions en montrent l’originalité, la puissance, la présence.