Le progrès n’attend pas. Ainsi, pendant que, comme je l’expliquais hier encore, l’Assemblée nationale en profite pour injecter de la surveillance permanente dans votre voiture, dans le reste du monde et de façon un peu plus pragmatique, ce sont les robots qui se répandent dans les entreprises.
Ce sera sans surprise qu’on apprendra à ce sujet qu’Adidas a choisi l’Allemagne pour ses prochaines expériences industrielles. L’entreprise a en effet annoncé le 24 mai dernier qu’elle entendait faire fabriquer ses baskets par des robots d’ici l’année prochaine, ce qui lui permettra de rapatrier en Europe une bonne partie de sa production actuellement basée en Asie, et très largement réalisée à la main. Et le choix de l’Allemagne est bien sans surprise puisque ce pays a largement misé sur ses robots dont il est le premier producteur européen et qui peut s’enorgueillir d’avoir 281 robots pour 10.000 salariés (et un taux de chômage moitié moindre qu’en France, est-ce utile de le rappeler ?).
En introduisant de la robotique dans un maximum d’étapes de la conception de ses chaussures, l’entreprise vise à nettement diminuer son temps moyen de production d’un an et demi pour les chaussures faites main à quelques jours lorsqu’elles sont réalisées par des robots. Dans ce contexte, le groupe construit d’ailleurs une usine de 4600 m² à Ansbach en Allemagne. Cette usine livrera la première série test de 500 chaussures pour une vente dès le troisième trimestre 2016. Adidas envisage aussi de construire sa seconde usine aux États-Unis, et réfléchit à des équivalents en France et au Royaume-Uni.
Ce mouvement de robotisation et de relocalisation des activités n’est pas vraiment nouveau.
D’une part, les salaires ont nettement augmenté dans toute l’Asie, rendant moins pertinentes les économies de main-d’œuvre réalisées jusqu’alors avec les délocalisations. D’autre part, la robotisation concerne maintenant toutes les entreprises de fabrication en série (Nike talonne donc Adidas à petits bonds nerveux), et s’étend donc logiquement… aux fabricants chinois ou coréens eux-mêmes.
C’est ainsi qu’en Corée du Sud, Samsung investit fortement pour remplacer sa main-d’œuvre humaine par des robots afin de continuer à construire ses équipements électroniques de façon compétitive face à la concurrence de la main-d’oeuvre chinoise, réputée moins onéreuse. En outre, Samsung a été commissionné par le gouvernement sud-coréen pour développer les prochains robots de haute précision qui, pour le moment, sont produits à l’étranger et sont importés à grands frais. La Corée du Sud vise-t-elle à devenir l’Allemagne de l’Asie ?
De leurs côtés, les Chinois ne sont pas en reste puisque Foxconn, le géant chinois de l’assemblage de produits électroniques, teste à grande échelle le remplacement de ses ouvriers par des robots pour les tâches répétitives et vise à remplacer 60.000 emplois par ces automates, ce qui permettra de redéployer les ressources humaines sur des travaux réclamant plus de savoir-faire et de doigté, depuis le contrôle qualité jusqu’à la recherche et développement.
À la lecture de ces annonces, tant du côté d’Adidas que du côté de Foxconn, Samsung ou Nike, on comprend que le mouvement de robotisation de toutes les tâches répétitives de précision est en pleine ascension. En outre, l’arrivée sur le marché de robots moins coûteux, de plus en plus polyvalents, va rendre l’exécution de petites séries plus rentable, voire permettre des travaux d’orfèvrerie à des prix toujours plus bas. On assiste ici au même changement paradigmatique qu’avec l’arrivée de l’impression 3D qui offre là aussi la possibilité de produire de la très petite série ou des pièces autrement irréalisable par les moyens industriels traditionnels utilisés pour les grandes séries.
De fil en aiguille, on peut aussi parier que ces bobos conscientisés seront vite rejoints par les nouveaux Canuts et autres Ludites que la France s’empresse (ironie du sort) de produire à un rythme stakhanoviste, afin de lutter contre cette abominable robotisation qui détruit de l’emploi, appauvrit les familles et détraque le temps, y’a plus de saison ma brave dame c’t’un scandale là aussi. Oui, après tout, luttons contre le bénéfice apporté par les robots ! Pour employer tout le monde, mettons à bas ces automates vicieux ! Revenons à la couture la plus frustre (avec des os taillés comme aiguilles, hein), engageons de grands travaux à coup de petites cuillères vengeresses, et croyez-moi, il y aura du travail pour tout le monde, c’est évident.
Et tant qu’à faire, protégeons encore plus les salariés qui seraient remplacés par ces hideux robots. Oh, bien sûr, cela aura pour effet inévitable d’accroître encore le coût d’embauche, de verrouiller un peu plus le marché du travail pour ceux déjà employés, mais ce n’est pas grave : même si c’est exactement ce qu’on observe actuellement (et qui explique au moins en bonne partie le différentiel entre la France, surprotégée et en sur-chômage, avec l’Allemagne ou la Suisse, aux lois bien plus souples et aux syndicats beaucoup plus affûtés), soyez certains que cette révolution robotique sera farouchement combattue avec ces méthodes catastrophiques qui empêcheront l’émergence de nouveaux emplois, devenus trop coûteux et qui ne seraient justement pas remplaçables par des robots (ceux avec un fort relationnel humain, typiquement).
Quel avenir douillet, celui qui se profile à l’horizon ! On va pouvoir mesurer en grandeur réelle la différence entre deux options : celle prise par les pays qui surprotègent leurs salariés et combattent le progrès, et l’option de ceux qui ont un code du travail mince et efficace, et embrassent les changements technologiques qui s’annoncent.
Sur le court terme, les Chinois et les Coréens souffriront probablement de cette nouvelle évolution si rapide, et leur société devra s’adapter à ces changements profonds. Les Allemands, eux, s’en sortent déjà pas mal. Sur le moyen et sur le long terme, il m’apparaît en revanche bien plus délicat de trancher entre les deux options choisies puisque la seconde imposera, par la force des choses, une adaptabilité et un redéploiement des ressources là où c’est économiquement et humainement rentable, pendant que la première, guindée et sûre d’elle-même, continuera de s’enfoncer douillettement dans ses acquis sociaux, plongeant avec délice et abandon toute sa société dans un formol épais.