(anthologie permanente) Jack Kerouac, traductions inédites de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

Jack Kerouac introduisant son livre de poèmes Mexico City Blues (1959) : « Je veux être considéré comme un poète jazz qui souffle un long blues dans une jam session un dimanche après-midi. Je prends 242 chorus. »
12e chorus

Les chants Indiens à Mexico
(Comptines Rythmées des Enfants
sautant à corde au crépuscule –
dans panne de courant du Samedi Soir – )
ressemblent aux chansonnettes Canadios
   en Français que chante ma mère –
Rondes Indiennes –
Canoë Pagaie –
   Ma wa taqua
   Johnny Picotis
   Vœu-ti
   Vœu-ti
Negouonssewable
Tamayara
   Para ya
   Babil aztèque
(SEULES LES MÈRES SONT LÀ HEUREUSES)
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (Grove Press, 1959), traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
12th Chorus

Indian songs in Mexico
(the Folk Chanties of Children
at dusk jumprope –
at Saturday Night power failure –)
are like the little French Canuckian
   songs my mother sings –
Indian Roundelays –
Row Canoe –
   Ma ta wacka
   Johnny Picotee
   Wish-tee
   Wish-tee
Negwayable
Tamayara
   Para ya
   Aztec squeaks
(ONLY THE MOTHERS ARE HAPPY)
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (1959).
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89e chorus

Remémorant ma naissance en bas âge, les toux,
Les hirondelles, les arbres-larmes qui poussent
De tes globes oculaires de honte ; le gris
Matin immense où je fus conçu dans l’utérus,
Et l’après-midi rouge sang où l’on m’accoucha
   de là.
Woah je pourrais t’en chanter des chiens
   te faire aboyer hurler des meutes,
Sacrebleu j’aurai vécu et revécu riant
   comme enfant
Si quelqu’un avait pu me dire
   que c’était irréel :
J’étais effrayé. L’ombre
   était pleine de fantômes
Qu’arrivaient depuis l’autre côté de la mort
   pour réclamer les cœurs
Des petits enfants Sacrificiels
   confinés dans la nuit de l’hiver
En des berceaux devant fenêtres hurlantes
   de froid & pitoyables
Terre de février au Massachussetts,
   Mars de Massachussetts,
Lupins hurleurs sauvages Froides les Lunaires
   et lunatiques nuits.
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (Grove Press, 1959), traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
89th chorus

Remembering my birth in infancy, the coughs,
The swallows, the tear-trees growing
From your eyeballs of shame; the grey
Immense morning I was conceived i the womb,
And the red gory afternoon delivered
   therefrom.
Wow. I could sing you hounds
   make you bell howl packs,
Zounds, I’d-a lived & lived laughing
   as a child
If somebody coulda told me
   it was unreal:
I was scared. The dark
   was full of phantoms
Come from the other side of death
   to claim the hearts
Of Sacrificial little children
   laying up in the winter night
In cribs by howling windows
   of the cold & forlorn
Earth of Massachussetts February,
   Massachussetts March,
Wild howl Lupine Cold the Moony
   and Loony nights.
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (1959).
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239e chorus

Charley Parker Ressemblait à Bouddha
Charley Parker, qui est mort récemment
Riant d’un illusionniste à la télé
Après des semaines d’effort et souffrance,
Fut appelé le Musicien Parfait.
Et l’expression de son visage
Était aussi calme belle et profonde
Que l’image du Bouddha
Représentée en Orient, les épaisses paupières,
L’expression qui communique « Tout est Bien »
- Voilà ce que Charley Parker
Communiquait quand il jouait : Tout est Bien.
On en avait la sensation d’un tôt-le-matin
Comme la joie d’un ermite, ou comme
   le cri parfait
De quelque bande de dingues à une jam session
« Couac, wow » - Charley se rompait
Les poumons pour atteindre la vitesse
De ce que les speedés désiraient
Et ce qu’ils voulaient –
Était son Infini Freinage.
Un grand musicien et un grand
   créateur de formes
Qui finalement trouvent leur expression
Dans des mœurs même comme tu veux.
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (Grove Press, 1959), traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
239th chorus

Charley Parker Looked like Buddha
Charley Parker, who recently died
Laughing at a juggler on the TV
after weeks of strain and sickness,
was called the Perfect Musician.
And his expression on his face
Was as calm, beautiful, and profound
As the image of the Buddha
Represented in the East, the lidded eyes,
The expression that says “All is Well”
– This was what Charley Parker
Said when he played, All is Well.
You had the feeling of early-in-the-morning
Like a hermit’s joy, or like
   the perfect cry
Of some wild gang at a jam session
“Wail, Wop” – Charley burst
His lungs to reach the speed
Of what the speedsters wanted
And what they wanted
Was his Eternal Slowdown.
A great musician and a great
   creator of forms
That ultimately find expression
In mores and what have you.
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (1959).
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235e chorus

Cabotine pas,
Tu sais très bien
   Ce qui t’arrivera
Quand tu mourras
   et déclareras
   que tu ne sais pas que t’es mort
   alors que tu meurs et tu le sais
   « Je sais et sais pas que je suis mort »
Cabotine pas. La Mort, l’anti-blabla,
   les anti-voix, est, doit être, pareille
   à la vie, le tirelis des boumboum
   dans ce monde cinglé qui horrifie mes matins
   et me rend fou ébouriffé dans une chambre
   comme les vieux ogres-poètes métaphysiques
   en leurs chambres aux mystères macabres.
C’est pourtant dur de prétendre pas savoir
Que quand tu mourras tu ne sauras pas.
Je sais que je suis mort.
Je cabotinerai pas. Je suis mort maintenant.
Qu’est-ce que j’attends pour disparaître ?
   Les morts ne disparaissent pas ?
   Éclatant en poussière ?
   Comment je sais que je suis mort.
   Parce que je suis vivant
   et j’ai du travail à faire
   Ah moi, Encore moi,
   Salut – Bienvenue –
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (Grove Press, 1959), traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
235th chorus

Dont camp,
You know very well
   What’ll happen to you
When you die
   and claim
   you dont know you’re dead
   when you die and you know
   “I know dont know that I’m dead”
Dont camp. Death, the no-buzz,
   no-voices, is, must be, the same,
   as life, the tzirripirrit of thupsounds
   in this crazy world that horrifies my mornings
   and makes me mad wildhaired in a room
   like old metaphysical ogrish poets
   in rooms of macabre mysteries.
But it’s hard to pretend you dont know
That when you die you wont know.
I know that I’m dead.
I wont camp. I’m dead now.
What am I waiting for to vanish?
   The dead dont vanish?
   Go up in dirt?
   How do I know that I’m dead.
   Because I’m alive
   and I got work to do
   Oh me, Oh my,
   Hello – Come in –
Extrait de : Jack Kerouac, Mexico City Blues (1959).
Le livre Mexico City Blues est paru en poche bilingue anglais-français dans une très bonne traduction de Pierre Joris chez Points Poésie.
Regarder une vidéo avec Jack Kerouac lisant un extrait de sa prose poétique (dans On the Road), introduit, interviewé puis accompagné par un pianiste
Écouter Jack Kerouac lisant les chorus 239 et 240 de Mexico City Blues dédiés au saxophoniste noir Charlie Parker
Jack Kerouac dans Poezibao :
Bio-bibliographie 
Extrait 1 Extrait 2 
Choix et traductions inédites de Jean-René Lassalle