Ce court recueil d'Erwann Rougé, publié au phare du cousseixˡ, s'inscrit, par son titre, dans une géographie précise : le breuil, bois clos servant de retraite au gibier. Dès les premiers vers, la description du lieu se double d'une autre image : « ici l'écorce craque un bruit // c'est un lent débrouillement de mots / entre l'humidité et le plus enfoui // entre l'entaille du noir / et le crissement du jour » (p.3). Un espace évident, « ici », s'impose. Mais le blanc qui suit l'adverbe ouvre un interstice propre à évoquer, par les matières, les lumières et les ombres du bois, un corps. En effet, plus loin dans le recueil, la couleur du bois change après une pluie de sang (p.8). L'ortie cache le « foudroiement des os » (p.4). Le « lichen », comme une plaie, est « à vif » (p.10). Une compassion douloureuse entre corps et nature transparaît.
Ces images de la blessure suggèrent la fin d'une union (« dire la nuit-fruit // où nous avions nos amours », p.10) et, par conséquent, une absence (« difficile de dire le plus rien », p.10). Le poème décrit ainsi une scission essentielle, « la mort déjà commencée / l'ombre - ailleurs » (p.6) que la recherche (p.5) et la fouille (p.4, p.8) ne permettent pas de combler. Aucune lamentation pour autant : la langue prend part à cette absence : « à l'intérieur de la langue // la feuille le souffle le blanc / la tendresse plus légère // l'instant plus haut où / les yeux ne quittent plus l'étrangeté // des ombres allongées en nous » (p.11). Le lyrisme très visuel d'Erwann Rougé incarne une blessure singulièrement tendre, élève et accueille l’ « étrangeté » devenue nôtre.
De là, peut-être, la sensation d'un retrait du sujet, notamment par les pronoms « on » (p.6, p.7) ou « nul » et par les tournures impersonnelles (p.4, p.9) et impératives (p.7, p.11, p.13). La disposition des vers participe également à cet effacement : chaque page se clôt, après quelques vers en police romaine, par un ou deux vers en italiques qui nuancent les précédents, par contrastes ou ouvertures. S'entend une modulation de la voix, là et autrement là, identique et déplacée.
De même, à la dernière page, dans l'obscurité nocturne et accueillante, ont lieu des retrouvailles : « le même geste – la même voix // la candeur d'oubli / le calme et l'arrêt du monde » (p.13). Elles ne sont possibles qu'au cœur d'un présent paradoxalement riche d’« oubli ». Reste pourtant une larme singulièrement élevée : « approche le doigt / une larme dort sur le front – approche le doigt » (p.13). Elle exprime l'émotion de la perte en même temps qu'elle attire, intrigue et appelle encore à un éveil sensuel.
ˡ Ce recueil fut d'abord publié, comme livre d'artiste, aux éditions Al Manar, en 2011, avec des peintures de Marie Alloy.
Antoine Bertot
Erwann Rougé, Breuil, le phare du cousseix, 2016, 13p, 7€.