Fondation Prada, extension du domaine de l’art à Milan

Par Jsbg @JSBGblog

Cela fait à peine plus d’une année que la Fondation Prada a ouvert les portes d’un lieu d’exposition permanent à l’extrême sud de Milan. Et je m’étais promise de vous en parler ici… j’ai enfin trouvé un prétexte: l’exposition de Edward Kienholz (1927-1994) et j’ai bien fait d’attendre pour vous y emmener!

Situons le projet: la Fondation Prada est active depuis 1993 et a choisi d’opérer dans le domaine des arts en organisant des expositions, commissionnant des projets artistiques spécifiques (comme l’installation permanente de Dan Flavin pour la Chiesa Rossa à Milan) et en réunissant une importante collection d’art contemporain. Depuis 2011, la Fondation possède son propre espace d’exposition à Venise Ca’ Corner della Regina, dans le quartier de Santa Croce et a ouvert en mai 2015 son complexe milanais. Ce dernier, situé à côté du siège de la maison Prada dans une ancienne distillerie, comprend sept édifices préexistants (dépôts, laboratoires et le silo) et trois nouvelles structures (l’espace pour les expositions temporaires sur deux étages, un espace multifonctions qui accueille notamment le cinéma et la tour de neuf étages qui devrait être inaugurée cet automne). Suivez le guide!

Nous commençons par La maison des esprits (Haunted House), la structure recouverte de feuille d’or, qui, dans ses espaces intimistes accueille la première installation permanente: celle de l’artiste américain Robert Gober (*1954). Ses œuvres côtoient celles de Louise Bourgeois (1911-2010), dont il était éperdument amoureux. L’œuvre Doors and Doorframe (2014-2015) est d’ailleurs un hommage à la grande artiste et à sa Cell (Clothes) (1996). La question du corps est ici centrale: sexualité, enfance et relations humaines sont autant de thèmes fondamentaux dans l’œuvre de Gober (enfance volée, vulnérabilité du corps, vie publique/vie privée) et Bourgeois (œuvre autoréférentielle par excellence, où les relations mère-enfant, père-enfant, la sexualité sont des thèmes récurrents). Cell (Clothes) est un espace défini par des portes assemblées les unes aux autres peuplé d’éléments vestimentaires (robes, chemises, culottes) portées par l’artiste ou par des membres de sa famille. Vous êtes le voyeur de l’intimité de l’artiste.

Tout au long de votre visite, n’hésitez pas à interpeller les « surveillants »: ce sont tous des historiens et historiennes d’art à votre disposition. C’est d’ailleurs l’un d’eux, Mattia (Desogus), qui a été mon Cicerone pour cette première découverte du lieu, et que je remercie chaleureusement pour l’expérience apéro inclus! En effet, ne manquez pas une halte pour une glace ou un apéro au Bar Luce, le café de Milan années 1950-1960 selon Wes Anderson. Les fauteuils en formica sont mythiques!

Bon, reprenons le cours de notre déambulation. Bienvenus dans la grotte du photographe franco-allemand Thomas Demand (*1964). Le projet met en lumière le processus créatif de l’artiste, une fois n’est pas coutume car ses « scénographies » de carton sont généralement détruites une fois la photographie réalisée. Ici, avec Processo Grottesco, vous retrouvez la documentation qui sous-tend le projet de Grotto, à savoir une grotte reconstituée par différentes strates de carton. Immersion garantie dans un monde étrangement surréel, qui n’est pourtant qu’une reconstitution fidèle d’une grotte de l’île de Majorque. Que voulez-vous, la vérité est ailleurs!

Cet intérêt pour le processus créateur se retrouve au cœur de l’exposition Kienholz: Five Car Stud (19 mai – 31 décembre 2016). L’installation historique, réalisée entre 1969 et 1972, qui donne son titre à l’expo est un manifeste sur le « poids d’être un américain » comme le dit lui-même l’artiste. Il y dénonce la haine et la persécution raciale en immergeant directement le spectateur dans une situation d’extrême violence. Autour de cette œuvre iconique, récemment acquise par la Collection Prada, sont réunies 26 pièces datées entre 1959 et 1994, ainsi que tout un matériel documentaire sur l’histoire et le processus de création de Five Car Stud.

Si vous visitez la Fondation avant le 28 août, vous rencontrerez également Thomas Demand en curateur de l’exposition L’image volée, exposition qui explore l’appropriation artistique: appropriation de l’œuvre elle-même ou de son image. Nous tous nous référons constamment à des modèles préexistants, ainsi les artistes. Quelles sont les limites de l’originalité? Qu’en est-il de la notion d’auteur dans la diffusion de copies ou dans l’appropriation conceptuelle? Et quel est le potentiel créatif dans l’adoption de modèles? Martin Kippenberger transforme un Gerhard Richter en table; Richard Artschwager a enregistré les instructions pour le vol d’un tapis persan chez un de ses amis; Guillaume Paris manipule une séquence du film Pinocchio des années 1940… l’exposition est d’une grande richesse L’image volée réunit quelque 60 artistes et 90 œuvres de 1820 à nos jours et ne cesse de vous interpeller sur le statut de l’œuvre d’art et son image. Déstabilisant.


Il y a une chose qu’il faut que je vous confesse: je vais devenir accro à ce lieu. Quand la Fondation Prada décide d’explorer un thème et qu’elle a besoin pour son propos d’une miniature du Louvre à Paris, d’une pièce du Met à New York ou d’une peinture du Stedelijk d’Amsterdam, plutôt que d’en appeler aux collections du Musée de Tel Aviv, qu’importe! Pas de limites géographiques, techniques, financières… c’est un comble de snobisme certainement, mais on rêve tous de réaliser une exposition dans cet état d’esprit, soyons honnêtes, alors ne soyons pas jaloux… et suivons avec attention les prochains développements du siège milanais de la Fondation Prada
qui ne manque par ailleurs pas d’une saine touche subversive à en croire l’exposition Kienholz!

PS: comme au bout du compte, il n’y a pas que l’art, la mode et le shopping à Milan, voici une adresse de charme et conviviale pour passer à table, dans le quartier de la gare Centrale, l’Osteria al treno – via San Gregorio 46/48 – www.osteriadeltreno.it

Alors, bon séjour milanais!

 – Carole Haensler Huguet

Informations pratiques

Fondazione Prada
Largo Isarco 2
20139 Milano
http://www.fondazioneprada.org/visit/visit-milano/

Expositions:
L’image volée, commissaire Thomas Demand, à voir jusqu’au 28 août 2016
Kienholz: Five Car Stud, commissaire Germano Celant, à voir jusqu’au 31 décembre 2016

Légendes images:

  • Edward Kienholz, Five Car Stud, 1969–72 ;View of the exhibition « Kienholz: Five Car Stud » curated by Germano Celant;Fondazione Prada, Milan;Photo © Delfino Sisto Legnani Studio;Courtesy Fondazione Prada

  • Fondazione Prada, Architectural project by OMA;Photo: © Bas Princen 2015;Courtesy Fondazione Prada

  • View of the permanent installation Processo grottesco by Thomas Demand;Fondazione Prada Milano 2015;Photo © Attilio Maranzano;Courtesy Fondazione Prada

  • Guillaume Paris, Fountain, 1994

  • View of the permanent installation by Robert Gober Corner Door and Doorframe,2014-2015;Fondazione Prada Milano 2015;Photo © Attilio Maranzano;Courtesy Fondazione Prada

  • Fondazione Prada Architectural project by OMA;Photo: © Charlie Koolhaas