Pour Alexander Kashlinsky, chercheur au GSFC de la Nasa, la matière noire pourrait bien se composer de trous noirs primordiaux comme cela a déjà été proposé. Certaines correspondances dans le fond diffus infrarouge et le fond diffus de rayonnement X tendent à le montrer.
Comptant pour environ 26,6 % de l’Univers, la nature de la matière noire demeure une des plus grandes énigmes scientifiques de notre temps. Insaisissable, imperceptible, elle n’interfère pas avec la force électromagnétique et malgré tout, sa présence est observée indirectement à travers son influence gravitationnelle sur les grandes structures du cosmos qui sont, elles, bien visibles (et représentent moins de 5 %).
Les chercheurs ont envisagé plusieurs pistes pour la contraindre et la cerner. L’une des plus suivies est celle de particules exotiques très massives, des WIMPs (Weakly Interacting Massive Particles). Mais pour l’instant les accélérateurs de particules comme le puissant LHC du Cern n’ont encore rien produit de tangible. Une autre voie de recherche est la détection indirecte de photons de haute énergie qui ont pu être émis lorsque deux particules de matière noire s’annihilent, avec notamment AMS (Alpha Magnetic Spectrometer), installé à bord d’ISS, ou encore avec le télescope spatial Fermi, sensible au rayonnement Gamma. Les données sont étudiées de près par les astrophysiciens.
Autrement, depuis la coalescence de deux trous noirs de type stellaire enregistré le 14 septembre 2015 – première détection d’ondes gravitationnelles – la piste des trous noirs primordiaux a été relancée. Une nouvelle étude qui vient de paraître dans The Astrophysical Journal Letters apporte une série d’indices qui vont dans ce sens, soulignant leur rôle dans le chaudron de l’Univers naissant.
Correspondances entre les fonds diffus infrarouge et X
En 2005, l’auteur, Alexander Kashlinsky, chercheur au GSFC (Goddard Space Flight Center) dans le Maryland, avait relevé d’importantes inhomogénéités dans le fond diffus infrarouge (ou CIB pour Cosmic Infrared Background) – après avoir soustrait toutes les sources de rayonnements infrarouges au premier plan – sondé avec le télescope spatial Spitzer. Ces lueurs excessives, phénomène également observé dans d’autres directions par la suite, avaient été alors associées aux premières sources lumineuses de l’Univers.
Puis, en comparant la carte de ces fluctuations infrarouges avec celle, pour la même région du ciel, du fond cosmique de rayons X (ou CXB pour Cosmic X-ray Background) obtenu avec le satellite Chandra en 2013, des chercheurs ont pu constaté que la répartition des rayonnements X de faible énergie coïncide très bien avec la première. Le problème, cependant, est que le rayonnement produit à l’origine par les étoiles, essentiellement dans le visible et l’ultraviolet, tire de plus en plus dans l’infrarouge avec l’expansion de l’Univers. Si bien que leurs traces sont faibles dans le CXB. Alors, comment expliquer cet excès de rayons X ? Pour les chercheurs, le suspect idéal correspondant à ce profil dans cette gamme d’énergie est le trou noir. Une pléthore de trous noirs primordiaux parmi la population de jeunes étoiles (au moins une source sur cinq dans le CIB).
Les irrégularités remarquées dans le fond diffus infrarouge (cosmic infrared background) dans cette région du ciel pourraient être liées aux premiers objets lumineux de l’Univers, moins d’un milliard d’années après le Big Bang. Les taches grises correspondent aux objets connus au premier plan (étoiles, galaxies, nuages de gaz, de poussière…) qui ont été retirés — Crédit : NASA, JPL-Caltech, A. Kashlinsky (Goddard)
A-t-on détecté la coalescence de trous noirs primordiaux ?
Les trous noirs primordiaux se seraient formés au cours de la première seconde de l’Univers par des fluctuations de densité, lorsqu’il était encore extrêmement chaud et compact. Selon les théoriciens, la fenêtre de leur création n’est restée ouverte qu’une fraction de seconde, aussi cela restreint la fourchette de leur masse (quelques dizaines de masses solaires), car plus le temps s’écoulait, plus leurs masses augmentaient.
Et c’est parce que les deux trous noirs qui ont fusionné à 1,3 milliard d’années-lumière de nous, surpris grâce à l’interféromètre Ligo (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) en septembre 2015, avaient, au grand étonnement des chercheurs, des masses individuelles similaires (estimées à 29 et 36 fois la masse du Soleil), plusieurs sommités scientifiques – parmi lesquelles Adam Riess – ont récemment proposé qu’il s’agisse de « reliques » de trous noirs primordiaux qui, au fil du temps, ont formé un binôme. Cet événement, leur fusion, n’aurait donc pas seulement marqué et la première détection des ondes gravitationnelles et la preuve de l’existence des trous noirs, cela concernerait aussi la matière noire…
Des minihalos de trous noirs ?
Dans l’hypothèse crédible que la matière noire se compose de trous noirs primordiaux aux propriétés comparables à ceux qui ont produit GW 150914, Alexander Kashlinsky – qui au passage dirige l’équipe américaine du développement de la future mission Euclid – s’est intéressé aux conséquences de leurs présences dans la tendre enfance de l’Univers. Et cela s’accorde plutôt bien avec ce qui est observé quelques centaines de millions d’années après le Big Bang.
Les déformations de l’espace-temps imposées par la matière noire a donc pu créer de petites fluctuations dans la distribution de la matière issue de la nucléosynthèse primordiale. Agrégée par attraction mutuelle, la matière noire a formé des petits halos où la matière ordinaire a été capturée. C’est au sein de ces graines de densité que naitront un peu plus tard les premières étoiles.
L’auteur démontre que si les trous noirs primordiaux jouent le rôle de la matière noire, le processus est rapide et produit plus « facilement » des inhomogénéités semblables à celles observées dans le CIB. Et cela même si seulement une petite fraction des minihalos a réussi à engendrer des étoiles.
Enfin, le gaz qui se déverse dans ces halos peut être en partie happé au passage par les trous noirs qui les constituent. Résultat : un excès de rayonnement X produit par la matière chauffée en s’enroulant autour d’eux. Voilà qui expliquerait bien les observations du CXB mentionnées plus haut.
Avec le temps, il peut donc arriver que des trous noirs primordiaux se rapprochent, se mettent en ménage et finissent par fusionner. Ce qui était peut-être le cas avec ceux détectés par Ligo.