Anna Madrigal était présente dès les débuts des Chroniques de San Francisco. Armistead
Maupin les avait commencées sous forme d’une suite de brefs récits mettant en
scène une communauté de personnages, assez pour fournir la matière de six
volumes parus de 1978 à 1989 dans leur version originale. Cette série s’est
imposée petit à petit comme une œuvre-culte où le milieu gay de San Francisco y
faisait, avant l’époque du sida, l’objet d’infinies variations. On pensait
rencontrer une série de clichés, on se retrouvait devant un détournement de
ragots colorés qui débordent d’ailleurs largement du seul monde homosexuel. Qui
plus est, en fait de chroniques, et alors qu’au début un personnage en
introduisait un autre jusqu’à ce qu’on connaisse tout le monde, un récit s’est
mis en place, ancré dans l’actualité du début des années 80 et poursuivi
jusqu’à devenir une véritable aventure humaine. Les personnages, un peu
déjantés, étaient attachants dans leur quête d’authenticité qui les faisait
passer par des existences peu banales. Bref, on marchait à fond et on en
redemandait.
Armistead Maupin l’a compris et y est revenu en 2007 pour
creuser davantage, avec la structure de romans, quelques destins : Michael Tolliver est vivant, puis Mary Ann en automne et, à présent, Anna Madrigal. Elle a plus de
quatre-vingt-dix ans, il nous reste des épisodes de sa vie à découvrir et elle
voudrait elle-même expier une faute commise dans sa jeunesse.
A cette époque, elle s’appelait Andy et était un garçon. Sa
mère était la patronne d’un bordel fréquenté par toute la ville. Même par le
père de Lasko, celui-ci représentant pour Andy l’idéal amoureux. Mais, se
sentant plus fille que garçon, Andy ne voit pas l’intérêt d’échanger des
plaisirs masturbatoires avec un Lasko qui s’y prêterait volontiers, sans
s’avouer pour autant un penchant homosexuel : cela ferait de lui la honte
de la famille. Les conséquences de ces ambiguïtés non assumées seront
dramatiques, et pèsent encore sur Anna Madrigal dans ses vieux jours. A tel
point qu’elles sont à l’origine de son nom. Celui-ci n’étant donc pas
(seulement) l’anagramme de « A man and a girl ».
Armistead Maupin continue donc, dans les prolongements des chroniques, à
décrire des modes de vie qui n’ont pas toujours été acceptés par la société.
Michael et Ben, son mari plus jeune que lui, Shawna qui se trouve avec eux dans
un festival Burning Man de toutes les folies, vivent dans un microcosme où
toutes les sexualités trouvent leur place. Presque plus facilement aux yeux des
autres que dans chaque existence personnelle, d’ailleurs. On n’imagine plus
quels efforts il a fallu pour y parvenir et, en remontant vers le passé d’Anna
Madrigal, le romancier le rappelle. Au Burning Man, auquel elle finit par
participer aussi, Anna est une héroïne, la pionnière de la cause transgenre. On
ne peut s’empêcher de penser que c’est mieux ainsi et d’admirer chez Maupin un
militantisme qui débouche sur la tolérance.