“Un Hendrick’s tonic avec du concombre et un tour de moulin à poivre”. Vous, je ne sais pas, mais moi c’est généralement en ces termes que je m’adresse au barman des débits de boisson que j’ai pour habitude de fréquenter. Les amateurs de gin le savent déjà: Hendrick’s se positionne clairement à part dans l’univers des spiritueux. Une histoire si différente qu’elle mérite d’être contée. La voici.
L’ ori’gin
Il faut remonter au XVIIe siècle et aux anciens Pays-Bas (recoupant alors la Hollande et une partie de l’actuelle Belgique) pour voir apparaître sous le nom de jenever une eau-de-vie à base de genièvre. De là, il s’est répandu en Angleterre après qu’un Batave, Guillaume III, s’installe sur le trône de la British couronne. Les distilleries anglaises commencent alors à produire un alcool proche du jenever, qu’ils baptisent gin. Le breuvage est obtenu par la redistillation d’eau-de-vie après l’ajout d’aromates: baies de genièvre bien entendu, mais aussi coriandre, fenouil, cumin, réglisse, anis, écorces d’oranges, amandes… la liste des ingrédients variant selon les marques et les recettes. Dans le cas d’Hendrick’s, ce sont la rose et le concombre qui font toute la différence. Nous y reviendrons.
La dynamique du tonic
En colonisant la moitié de la planète au XIXème siècle, les Britanniques sont rapidement confrontés au problème des moustiques et de la malaria sous les latitudes tropicales. Ils prennent l’habitude de consommer de la quinine pour se protéger et se soigner du paludisme. Celle-ci étant particulièrement amère, ils l’ingèrent en y additionnant de l’eau gazeuse: le tonic était né. Beaucoup plus chargée en quinine qu’aujourd’hui, la consommation journalière de cette très amère eau tonique n’est pas des plus agréables. Jamais à court d’idées, les sujets de sa Majesté ont alors l’idée de couper leur eau tonique avec du gin. Le succès du mélange est immédiat, ce qui fit dire au grand Winston Churchill: “Gin and tonic has saved more Englishmen’s lives, and minds, than all the doctors in the Empire (Le gin tonic a sauvé plus de vies anglaises que tous les docteurs de l’Empire).”
L’aventure du gin Hendrick’s démarre en 1999, au sein de l’immense distillerie William Grant & Sons. Outre le whisky éponyme, la maison produit également le single malt Glenfiddich… wait a minute! What?? Mais le whisky est écossais, et le gin est sensé être anglais, non? Oui. De fait, le gin Hendrick’s est le seul d’origine écossaise. Et ce n’est de loin pas là sa seule spécificité: il a en effet été mis au point par une dame, Lesley Gracie. Faisant équipe avec le maître distillateur de la maison Grant’s, elle met en place la distillerie Hendrick’s à Girvan, un petit village du sud-ouest de l’Ecosse. Elle y installe deux alambics de cuivre qu’elle baptise affectueusement Carter-Head et Bennett. Il faut en effet deux distillations distinctes pour faire naître le gin Hendrick’s. Chaque alambic est chargé d’un dosage aromatique spécifique. Les ingrédients sont les mêmes dans chacune des deux cuves, mais les proportions diffèrent. La distillation se fait d’un côté par évaporation de l’autre par macération.
La somme des deux distillats est ensuite mélangée, selon une recette finale tenue secrète: seule 4 personnes la connaissent en intégralité. Unique certitude, elle contient 11 ingrédients. Les études de chimiste de Lesley et le fait qu’elle soit la seule femme à évoluer dans cet univers très masculin lui ont inspiré les deux éléments faisant la spécificité du gin Hendrick’s: la rose et le concombre.
Encore fallait-il choisir un récipient digne de contenir le divin elixir: ce sera un flacon brun foncé, à l’allure vintage des anciens remèdes de pharmacie. Entre rose et concombre, une saine médecine, à n’en pas douter.