Il faut parfois savoir prendre la parole pour ceux qui peuvent pas, qui ne savent pas,
Il faut savoir aider ceux que l'on aime à exprimer par les mots, un flot d'émotion prisonnier au plus profond de la souffrance,
Il faut savoir aider quand on le peut...
Cinq jours…
Cinq jours,
Cinq jours que mon père est décédé dans d’atroces souffrances, les traits déchirés par la lente agonie, la voix brisée par les plaintes et les gémissements, les lèvres gercées par le souffle putride de cette tumeur qui le rongeait, et l’âme écartelée par le remord de ne pas avoir fait ce qu’il fallut de son vivant.
Cinq jours à être seule, accompagnées par celle qui a comblé ses derniers moments avec amour et dévouement, la compagne de fin de vie qui a pansé ses plaies et ses désespoirs, celle qui le lavait le soir et qui lui apportait sa tisane apaisante, nous sommes toutes les deux face à la mort et à son vide immense.
Cinq jours après lui avoir tenu la main,
Cinq jours après que ses doigts crispés s’agrippant encore à la vie refusaient de lâcher les miens, j’entends encore ses plaintes, ses appels à l’existence éternelle, qui déchirent dans le cri strident de l’agonie mon esprit en souffrance, de voir mon père décomposé par ces derniers moments, par ces terribles instants que toi ma sœur, tu lui as imposé en le mettant sous tutelle, en envoyant tes espions, suppôts du diable pour le persécuter, pour l’espionner, pour soutirer des informations à un mourant qui désiraient trouver la paix auprès de celle qu’il aimait.
Pourquoi ma sœur, cet homme si conscient de son sort, malgré son âge, t’a-t-il chassé de sa vie s’il t’aimait tant comme tu le prétends ? Quel père chasserait ainsi son enfant chérie s’il l’aimait vraiment ?
Pourquoi mon père a-t-il demandé en pleine possession de ses moyens intellectuels à un homme de loi de t’éloigner de lui pour se protéger de toi, et pour te chasser de sa vie ? Pourquoi, ma sœur, doit-on se protéger de ses enfants s’ils sont aimants ? Aimais-tu seulement ton parent ? L’aimes-tu salement ? Et qu’as-tu fait pour qu’il te déteste autant ?
Non, ma sœur, la réponse ne se trouve pas dans l’accusation de sa compagne, ou même de moi, ta cadette, elle se trouve en toi et en toutes les mauvaises actions que tu as menées contre lui, contre moi, contre Éve, la première femme des hommes, et qui était la première dans son cœur au point que tu devins la dernière.
Et toi, qui t’acharnes à faire croire aux autres que tu aimais tant ce père qui était le mien, cinq jours après son décès, où es-tu, fille aimante ?
Je n’entends de toi pas un son, pas un bruit, pas même un mot, notre père m’a quitté, il nous a quitté, sa compagne et moi, car, l’amie des derniers moments était présente, alors, que toi, tu brilles à nouveau par cette absence terrible de celle qui voulait sans donner, de celle qui prend sans offrir, de celle qui ne connaît pas le sens du mot aimer, mais tu téléphones aux banques pour bloquer les comptes de ton père ? Que crains-tu ? que l'on te vole ? Est-ce la ta seule inquiétude ?
Cinq jours après son départ vers l’autre monde, son corps est prisonnier d’un frigo, dans une morgue froide et sordide. Ses dernières heures, il avait le froid en horreur, sa carcasse tremblait, il cherchait la chaleur, tu l’aurais su si tu l’avais aimé, et voilà que tu lui imposes cette peine pour te venger de lui, n’as-tu rien trouvé de mieux que de te venger des morts ?
Mon père est maintenu dans un grand tiroir d’inox, alors qu’il cherche le repos de la terre, tu lui retires le droit au repos éternel parce que tu n’es pas là, ou es-tu, cinq jours après que la mort soit venue le soulager, ou es-tu, je te le demande ?
En vacance, peut-être ?
Ton père est mort depuis cinq jours et tu profiterais de tes vacances ? Et il doit attendre ton retour pour trouver ce repos qu’il mérite enfin ?
Quelle est cette farce à laquelle tu joues ? Pour lui, pour nous, pour moi, pour ceux qui l’aimaient ?
Nous devons encore t’attendre, il doit t’attendre pour que, comme une poule de concours, tu fasses ton défilé de fausse tristesse, tu montres à cette famille que tu as monté contre lui, que tu es la vedette du jour, alors que c’est lui qu’on devrait enterrer ?
Même Achille a été honoré dans les heures qui ont suivi son décès, nos frères musulmans enterrent leurs morts dans les heures qui suivent leur départ, il faut savoir honorer le mort et ne pas le garder sur terre pour de mauvaises raisons, et toi ma sœur, que fais-tu ? Tu es cette mauvaise raison sans faire l’effort de respecter un mort, et pourquoi ? Pour te venger de ne pas avoir su aimer et pour avoir été percée à jour ?
Cinq jours qu’il est parti,
Cinq jours que tu ne dis rien, que tu ne fais rien, que tu demeures silencieuse, ma sœur, tu pourrais éprouver de la tristesse, et je suis ta cadette persécutée par toi depuis tant d’années de jalousie ineffable, inutile et infondée, et il était notre père, et même dans ton silence tyrannique, incapable de pardonner tes vexations insupportables, tu continues à vivre et à te nourrir de conflit, tu te venges en faisant trainer un mort dans une vie qu’il a quitté.
Quelle sorte d’être es-tu ? Quel est cet être qui a été capable de faire souffrir cet homme en ne voyant pas en lui un homme, mais un héritage ?
Cinq jours après la mort de mon père, la trace de ses doigts crispés encore gravée sur mes mains tremblantes d'émotion, je n’ai de toi, ma sœur, pas la moindre nouvelle, mais je… mais nous te sentons agissante, tapie dans l’ombre à organiser moult manigances coutumières, mais si inutiles en ces instants de tristesse et de recueillement.
Cinq jours après la mort de mon père, je n’ai ma sœur aucune nouvelle de toi, mais je sais que tu es là, comme le souffle succube d’un mauvais ange qui prépare, non pas un mort pour le grand voyage, mais la vengeance d’un être perdu et avide de posséder et de déposséder, pour continuer à profiter de la vie comme cigale irresponsable, fumant le cigare et sabrant le champagne, en se réjouissant de notre tristesse et du départ de cet homme que j’appelais papa.
Est-il nécessaire de te dire que la vie se charge de punir les mauvaises actions des uns, et je puis t’assurer ma sœur, que tu n’es pas éternelle, personne ne l’est parmi les hommes, et comme j’ai vu mon père souffrir en mettant d’abord un pied dans l’autre monde, et quitter le notre en avançant le second, tu vivras, j’en ai l’intime conviction, seule les mêmes tourments que tu lui as imposés lorsque ton heure viendra, car, la vie n’oublie jamais les malfaisants, elle s’amuse à les faire souffrir lentement.
Et je prierais pour toi, ma sœur, pour qu’elle ne t’oublie pas…
Cinq jours avant et cinq jours après, si tu ne me tues pas avant…