Comment insuffler un nouvel imaginaire marchand à la génération " native shop " ? Sur la base de cette question introductive, Nova Child, cluster d'entreprises dédié au bien-être de l'enfant, a consacré le 24 mai dernier un colloque intitulé " Regards Croisés Enfants et Distribution ". Colloque que j'ai animé à l'ESSCA d'Angers et qui a réuni des enseignes et des marques (Decathlon, Maisons du Monde, IDKids, Gemo, Game Cash, DPAM, Dorel, Gautier, Groupe Royer, La Grande Récré...) et des spécialistes de divers secteurs (Lab Retail, My Appy Tour, Silab, Dici Conseil & Design, The Other Store, Groupe Carlin International...) L'objectif de cette journée d'échanges étant de se projeter dans la distribution enfant du futur, illustré en fin du colloque par un magasin prospectif et réaliste imaginé par deux étudiants du CNAM-Institut Colbert.
Depuis une vingtaine d'années en France et à l'étranger, on a vu éclore des concepts dédiés à l'enfant avec une approche ludique et expériencielle, comme Oxybul Eveil et Jeux, Orchestra-Kazibao, Kid Fresch, Apache, Imaginarium, Kid's World, Minimarkt, Id-Kids, etc., des univers spécialisés qui ont engagé un dialogue à deux voix, l'une qui s'adresse aux enfants et l'autre aux parents. L'enjeu pour cette distribution spécialisée étant de maximiser le plaisir et l'attractivité, et de minimiser les contraintes chez des enfants consommateurs très sollicités qui grandissent dans un environnement marchand pléthorique. La distribution s'est adaptée aux évolutions des sensibilités de leurs clients, petits et grands, avec des concepts marchands pertinents, mais aujourd'hui face à des générations plus versatiles et happées par la révolution digitale, le commerce doit se réinventer dans ses formats et dans ses usages.
La fin de la récréation a en effet sonné, les clients sont incités à vivre le produit plus que l'achat, c'est l'expérience elle-même qui prime, l'apport de services à valeur ajoutée émotionnelle et rationnelle devient un impératif. D'autant qu'on ne peut pas ignorer le fil rouge en filigrane de toute l'économie : l'irruption du numérique qui change singulièrement la donne. Notamment chez les plus jeunes : désormais, un tiers des enfants de dix ans possède un téléphone mobile, son usage intensif et généralisé génère une mutation temporelle et physique, une utilisation qui fascine ou inquiète, certains prophétisant une désocialisation des enfants tandis que d'autres voient dans leurs comportements l'émergence de ressources nouvelles et l'obligation de tout repenser et en premier lieu la distribution qui vit déjà des chamboulements. Selon Euromonitor, entre 2010 et 2015, les ventes en ligne en Europe ont progressé de 192%, pesant ainsi 12 % des ventes retail tous produits confondus ! Et le mobile accélère le phénomène, il représente déjà près de 30% des transactions e-commerce dans le monde (21% en France). En Asie, les transactions mobiles devraient bientôt représenter 50% du e-commerce. Aux Etats-Unis, le panier moyen réalisé sur mobiles rattrape les ventes réalisées sur PC, particulièrement dans les domaines de la mode, du luxe, des équipements sportifs, de la santé, de la beauté et des produits de grande consommation. L'accélération des transformations imposées aux entreprises par le e-commerce n'a rien de commun avec les grandes révolutions techniques et économiques précédentes : avec des jeunes générations digital natives qui ont le regard vissé sur leur mobile, le changement est plus fort, plus rapide, plus radical, plus violent...
La génération Z (les enfants nés après l'an 2000) maîtrise les outils numériques, la génération Alpha qui suit (les enfants nés à partir de 2010) le seront davantage, immergés au quotidien dans les écrans et autres lunettes à réalité augmentée. Habitués à l'hybridation du commerce entre réel et virtuel, Ils appartiennent/appartiendront à des communautés d'intérêt de musique, de jeux, de communication, de connexions partagées, les réseaux sociaux sont leur média favori, certains réseaux sociaux comme Snapchat ou Instagram, et demain de nouveaux entrants, deviendront des concurrents des distributeurs, en proposant des sélections de produits à la vente gérées par des plateformes logistiques mondialisées du type Amazon.
Ses générations imposent de nouvelles normes et de nouveaux codes que doivent intégrer les entreprises. Le digital en est une, les consommations alternatives, collaboratives, participatives en sont une autre. L'émergence d'une économie parallèle constitue une lame de fond irréversible à l'échelle mondiale et s'appuie évidemment sur les technologies numériques dont le potentiel semble à ce jour illimité. Cette révolution crée des tensions entre ceux qui ont des positions acquises de longues dates, des rentes, des monopoles de faits et des " trublions " inventifs qui entendent déboulonner les conservatismes et prendre rapidement des places fortes. Bien que le terme soit galvaudé, l'ubérisation fait craquer les fondements traditionnels de la société et tend à remplacer une économie de la possession par une économie de l'usage. L'économie collaborative ou de partage permet à des individus de s'organiser pour mettre sur le marché des ressources qui, jusque-là, n'étaient pas ou peu utilisées : une voiture, un appartement, une compétence, une tondeuse à gazon, un berceau, etc. Les Etats et les corporatismes s'inquiètent, mais ils doivent avoir un rôle de régulateur, sans pour autant bloquer les initiatives qui, quoiqu'il arrive, vont se multiplier. PricewaterhouseCoopers (PWC) prévoit que le marché mondial de l'économie collaborative devrait atteindre $335 Mds d'ici à 2025, contre une vingtaine de milliards de dollars aujourd'hui. Troc, achat d'occasion, échange, location..., les jeunes générations conscientes d'un monde écologiquement et socialement épuisé, attentives au rapport aux autres, sont sensibles à une consommation responsable de la dépossession. Au monde économique et politique de ne pas éluder l'impact du changement pour ne pas les décevoir...
Image : © Nova Child