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"Le miroir d'une vie" de Nadège Piéron

Publié le 30 mai 2016 par Feuilly

Dans ces salons ou ces bourses aux livres, on parle et c’est assurément ce qui les rend intéressants. Il faut dire que les rencontres avec le public se transforment le plus souvent en rencontres entre auteurs et c’est très bien aussi.

Ce jour-là, j’avais été intrigué par ma voisine. Très jeune, assise dans un fauteuil roulant, elle arborait pourtant un grand sourire. Ou trouvait-elle la force de ne pas en vouloir à la vie, qui manifestement ne l’avait pas gâtée ? On a parlé un peu, pas beaucoup, quelques banalités, finalement. Mais elle écrivait, ce qui m’intéresse toujours au plus haut point, et j’ai tout de suite pressenti qu’elle devait puiser là une force certaine. Les gens heureux n’ont pas d’histoire et aux racines de l’écriture on trouve souvent une faille, une déchirure ou un drame. Dans son cas, il ne fallait pas aller chercher bien loin. Pourtant, je ne savais encore rien.

Revenu chez moi, j’ai lu son livre de poèmes. Le premier texte m’a semblé un peu naïf.

Mon cœur souffre quand tu es loin de moi

Mon cœur sourit quand je suis dans tes bras 

Bon, soit. Mais à la deuxième page, le sujet devenait plus interpellant : « Pourquoi moi ? Pourquoi pas elle ? » Elle, la sœur jumelle qui ne souffrait pas d’un handicap. Question existentielle s’il en est. Oui, pourquoi ? Pourquoi la vie s’acharne-t-elle sur certains et pas sur d’autres ? Pourquoi est-elle si injuste ? Il n’y a pas de réponse, on peut juste poser la question pour montrer qu’on est conscient de cette injustice. L’écriture, c’est cela aussi : dire.

Le livre, du coup, commençait à prendre un certain poids et à devenir beaucoup plus profond.

Ensuite venaient des poèmes d’amour, dans lesquels on sentait que la jeune femme avait trouvé l’âme sœur, le compagnon idéal. Un sourire aux lèvres, le lecteur que j’étais était content pour elle. Enfin, la vie s’était montrée tendre et généreuse à son égard. L’injustice était en grande partie réparée et voilà sans doute ce qui expliquait le sourire qu’arborait la poétesse.

Vient ensuite un poème intitulé « Aurore » qui s’adresse à l’enfant désiré, à la fille que la jeune femme voudrait avoir. C’est beau et émouvant de s’adresser ainsi à un enfant qui n’est pas encore né. Sur un plan littéraire, c’est très réussi. On sent le rêve qui s’exprime par les mots :

J’ai tellement peur

De ne pas voir naître ce bonheur.

Pour moi,

Tu es déjà là.

Mais le bonheur est court et soudain le rêve se brise. L’homme qui partageait la vie de l’auteure a disparu. Le futur père, l’amoureux, l’amant merveilleux, s’en est allé rejoindre les étoiles, sans doute frappé par la maladie.

Et là on arrête sa lecture. On se dit que ce n’est pas possible, autant de malheur. On a peut-être mal compris. Mais quand on revient aux poèmes, la vérité est bien là :

Je suis envahie par le désespoir

Je ne sais plus y croire

Viennent ensuite des poèmes remplis de tristesse, de solitude et de manque, très beaux, très émouvants.

Quand on referme le livre, on n’est plus le même. C’est un petit livre, certes, mais qui reflète toute une existence. Le titre, « Le miroir d’une vie », auquel on n’avait tout d’abord pas prêté attention prend subitement tout son sens.

Et on se souvient une nouvelle fois du sourire de la jeune femme, à la bourse aux livres, et on se demande plus que jamais où elle trouve cette énergie vitale. En elle-même, manifestement, et dans les mots qu’elle écrit et qui relèvent d’une démarche cathartique. Quand je disais que ceux qui écrivent le font par nécessité…


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