Premier jet du dernier ouvrage de Camus. Travail qu'il aurait certainement considérablement remanié, s'il n'était pas mort prématurément. Et qui, selon moi, aurait mérité de l'être.
Le père de Camus, un homme malmené par le sort, probablement intelligent, révolté, et digne, meurt dans les premiers jours de 14. Albert Camus a un an. Il va connaître une grande pauvreté au milieu d'une famille d'handicapés - on dirait peut-être de monstres, aujourd'hui. Une mère quasi sourde et qui sait à peine parler. Un oncle encore en plus mauvais état. Et pourtant, en dépit de leur infirmité, ils travaillent dur. Et ils sont estimés et aimés par leur communauté. Ici, il n'y a pas de bons et de méchants, comme chez les intellectuels. Mais des êtres humains. Des êtres qui luttent. Et qui connaissent des moments de bonheur, comme cette partie de chasse entre hommes. Camus, que l'on découvre enfant turbulent, sera tiré de son milieu par l'école laïque, où il trouvera un père, chez un instituteur remarquable.
Que l'on est loin de Sartre, et de l'univers confiné et abstrait qu'il décrit dans les Mots ! Et comment s'explique l'opposition entre les œuvres de l'un et de l'autre ! D'un côté, l'homme du peuple et de l'amour, de l'autre celui de la grande bourgeoisie et du néant. Mais c'est ce dernier qui a gagné et qui, avec ses successeurs virtuoses de l'intellect, privés de cœur, a modelé notre société à l'image de ses théories inhumaines.