Longue audience pour Hebe de Bonafini [ici]

Publié le 28 mai 2016 par Jyj9icx6
Hier au Vatican, s'est tenue cette fameuse audience qui alimente la presse argentine depuis quinze jours (voir mon article du 14 mai 2016) et qui a provoqué un grossier scandale, monté précipitamment pour décrédibiliser le Pape, qui pourrait bien venir non pas de militants lambda du Pro, qui auraient débordé la direction du parti, mais bel et bien d'une source gouvernementale, si l'on en juge par la manière dont depuis mercredi dernier, le Président Macri a brutalement tombé le masque et rejeté, non sans un certain cynisme, les suggestions de l'Eglise qu'il se donnait jusqu'à présent toutes les apparences de vouloir ménager.
Cette audience, c'est celle que le Pape François a accordée dans un salon de réception de la Casa Santa Marta, où il réside, à Hebe de Bonafini, la turbulente et peu démocratique présidente de l'association Madres de Plaza de Mayo, une femme qui a passé des années à l'insulter et à le calomnier quand il était archevêque de Buenos Aires.

Photo diffusée par Hebe de Bonafini sur les réseaux sociaux
Elle a fait chauffer les pixels hier, sitôt l'audience terminée !


L'entretien a duré une heure et demie (Página/12 parle de "deux heures" et La Nación d"'un peu plus d'une heure", cherchez l'erreur). D'après certaines sources, Hebe de Bonafini a demandé pardon (1) pour les propos calomnieux qu'elle a soutenus pendant des années en disant à celui qui la recevait chez lui qu'elle s'était trompée sur son compte et le Pape, en chrétien qu'il est, aurait balayé ce passé peu ragoûtant d'un revers de main ("on arrête là, lui aurait-il dit selon un témoin de la scène, nous faisons tous des erreurs").
Dans l'après-midi qui a suivi (heure de Rome), Hebe de Bonafini, fidèle à elle-même, a répondu aux questions des journalistes et utilisé les propos qu'elle attribue au Souverain Pontife pour dénoncer la politique du Gouvernement actuel, qu'elle continue de voir comme son ennemi alors qu'il a été démocratiquement élu (2). Elle a même comparé la situation actuelle à celle qui a suivi le coup d'Etat de septembre 1955, qui a renversé Perón (et mis l'économie et la diplomatie argentines en coupe réglée au profit des Etats-Unis d'Amérique) – c'est la première fois que je vois faire ce rapprochement, mais il est vrai que Bonafini, avec ses 87 printemps, a l'âge de la faire.
Radio Del Plata, une station de l'opposition qui émet depuis Buenos Aires en modulation de fréquence et par streaming, l'a interviewée plus tard encore dans son émission de l'après-midi (heure de La Plata), Secreto de Sumario (secret de l'instruction). Cet entretien, découpé en plusieurs enregistrements, est en ligne sur le site Internet de la radio et peut même, sous certaines conditions, être téléchargé sous forme de podcast.
Les services de communication du Vatican restent muets sur cette réunion, y compris dans les pages en espagnol, puisque cette audience était inscrite à l'agenda privé du Saint Père dans le cadre de son ministère sacerdotal et n'a donc rien à voir avec l'exercice de son ministère pétrinien. En revanche, en Argentine, l'agence de presse catholique s'est fendue d'une courte dépêche qui parle d'une entrevue d'un peu plus d'une heure, est illustrée d'une photo où le Pape et Bonafini se saluent d'une bise (désormais traditionnelle en Argentine) et ne dit rien du contenu de l'entretien, sauf ce qui en a été dit autour de la demande de pardon qui a été acceptée par le Pape (on ne voit d'ailleurs pas comment elle aurait pu être rejetée !) (3). Sur les critiques du Gouvernement sur lesquelles Hebe de Bonafini s'étend elle-même longuement, pas l'ombre d'un mot. C'est donc bien conforme à ce que François en avait hier il y a deux jours par mail à l'un des prêtres du diocèse de Buenos Aires avec lequel il est resté en contact : la récupération dont Bonafini pourra se rendre responsable ne le concerne pas (d'ailleurs, s'il n'affiche pas cette indifférence, il ne pourra plus recevoir aucun Argentin, car ils tirent à peu près tous parti du moindre contact avec lui pour au mieux se faire mousser, au pire lui faire soutenir leurs décisions).
Comme d'autres médias, AICA souligne toutefois que la militante s'était fait accompagner par l'épouse d'un ministre de Cristina Kirchner, l'un des plus détestés par la nouvelle majorité, Guillermo Moreno (un type tout aussi sectaire que Hebe elle-même). Le voyage a dû coûter à l'association un bon paquet de pesos si l'on en croit la suite dont Hebe de Bonafini était entourée...
Pour aller plus loin : lire l'article de Página/12, qui ne comprend toujours pas ce qu'est l'Année de la Miséricorde et croit que ce dernier terme désigne une sorte d'aumône condescendante ou de pardon accordé du bout des lèvres (le journaliste interprète donc comme un appui du Pape à l'opposition la longueur de l'entretien, qu'il exagère à dessein) lire l'article de La Nación, qui ajoute un éditorial, mesquin, dépité et vipérin, dans lequel le journaliste feint de ne pas faire la différence entre les relations qu'un Pape peut entretenir avec un chef d'Etat qui exerce une responsabilité politique dans ce bas-monde (Mauricio Macri) et celles qu'il peut avoir avec une simple particulière, aux opinions politiques aussi arrêtées que connues, et qui a vu ses enfants lui être enlevés pour être torturés et assassinés au nom d'un Etat signataire de la déclaration universelle des droits de l'homme (Hebe de Bonafini) (4) lire l'article de Clarín écouter l'interview sur Radio Del Plata lire la dépêche de l'agence nationale Télam lire la dépêche de l'agence catholique AICA lire le communiqué officiel de Madres de Plaza de Mayo qui en parle aussi sur sa page Facebook et le reste des réseaux sociaux.
(1) On peut parler à l'indicatif puisque ce sont les propres déclarations de Hebe de Bonafini sur ce qu'elle a dit elle -même au pape. (2) Elle devrait donc parler d'adversaire politique et non d'ennemi et se présenter comme opposante, au lieu de contester la décision du peuple souverain. (3) François avait d'ailleurs laissé fuiter avant-hier qu'il n'était pas dupe de la dimension politique que Hebe de Bonafini voulait et allait donner à cet entretien mais que ce n'était pas là son problème. Ce qui est vrai. Le Pape reçoit qui il veut, quand il veut. C'est la seule manière pour lui de se tenir au courant de ce qu'il se passe réellement dans le monde et tant qu'il ne fait aucun commentaire politique, il n'y a pas d'ingérence de sa part dans la vie interne d'un pays. (4) Il fallait comparer la durée de l'audience accordée à Macri avec celles, souvent beaucoup plus longues, accordées à Cristina (ou à Dilma Roussef, à Evo Morales, à Barack Obama ou David Cameron...). Ces comparaisons-là auraient eu du sens. Mais pas celle en une audience officielle et une autre, privée et pastorale, accordée à une vieille dame qui passait son temps à l'insulter quand il vivait à Buenos Aires, quand bien même cette même dame ne saurait pas tenir ses comptes ou aurait fermé les yeux sur des gens jouissant de sa confiance mal placée et qui piquaient dans la caisse remplie d'argent public. Reymondo Roberts va même plus loin lorsqu'il rapporte, comme un trait d'esprit lourd de rancœur, des anecdotes qu'on peut interpréter diversement et dont il prétend déduire que la mésentente manifeste entre Macri et François est le fait du Pape alors que ce dernier avait très bien reçu le premier avant son élection à la magistrature suprême. C'est donc que le problème réside chez Macri et non pas chez le Pape. Cet éditorial, qui s'en prend aussi à l'archevêque de Buenos Aires, dont il tente de faire le portrait d'un homme stupide et immature, est écœurant. Qui plus est, l'anecdote vaticane dont il est fait usage est loin d'être crédible : a) parce qu'il est assez peu vraisemblable que la Secrétairie d'Etat ait eu besoin de rappeler au Pape argentin l'imminence et les devoirs du 25 mai (à d'autres, par pitié !) b) parce que la réponse attribuée au Pape, si tant est qu'elle soit authentique, pourrait très bien être attribué à son humour, très ignacien au demeurant, c) parce qu'il est assez difficile de croire que François ait la légèreté de signer un message diplomatique, qui plus est à l'intention de l'Argentine, sans le lire auparavant et ni en peser précisément chaque mot... Cet éditorialiste prend ses lecteurs pour des crétins.